Publié le 21 octobre 2016 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 27 décembre 2023
Sur les pas des mosaïques Odorico
Rennes, capitale de la mosaïque dans le Grand Ouest
Originalité du patrimoine rennais, l’art de la mosaïque a laissé son empreinte dans la capitale de la Bretagne et même au-delà, dans tout le Grand Ouest. L’œuvre de la famille Odorico, installée à Rennes en 1882. Le début d’une saga pour deux générations d’artistes-artisans italiens qui ont décoré de nombreux bâtiments de la ville. Un patrimoine artistique foisonnant qu’on peut encore admirer aujourd’hui, lors de visites guidées.
Odorico, une famille d’artistes-entrepreneurs
La saga Odorico commence à Paris. Après avoir travaillé sur le chantier de l’opéra Garnier, de nombreux mosaïstes italiens viennent s’implanter dans différentes régions. La famille Odorico, originaire de la province du Frioul, fait partie de la vague et s’installe dans un premier temps à Tours. Les mosaïstes migrent ensuite vers l’Ouest, pour s’établir à Rennes en 1882.
Venus pour le chantier de l’opéra Garnier, ils parient sur la Bretagne
« En Italie il y avait pléthore de mosaïstes, mais ils étaient encore peu nombreux en France » explique Philippe Bohuon, adjoint à l’animateur de l’architecture et du patrimoine du service Rennes Métropole d’art et d’histoire. « Le chantier de l’Opéra Garnier a remis au goût du jour cette technique. Après l’inauguration en 1875, de nombreux notables sont venus de toute la France voir des spectacles à l’opéra. Ils ont redécouvert la mosaïque à cette occasion ».
Les mosaïstes italiens saisissent alors l’opportunité de se développer sur un nouveau marché : la France. Certains s’installent à Marseille, comme la famille Patrizio dont les descendants restaurent actuellement l’immeuble Poirier sur l’avenue Janvier à Rennes. D’autres choisissent Nevers, ou Limoges et beaucoup restent à Paris. En bons entrepreneurs, les mosaïstes italiens se répartissent ce nouveau marché en secteurs géographiques, pour s’entraider plutôt que de se faire concurrence. La diaspora italienne joue collectif pour faire du business avec des tesselles, ces petits carreaux de lumière au style si particulier.
Si les frères Odorico – Vincent et Isidore – font le pari d’aller vers l’Ouest, leurs débuts sont un peu difficiles. Mais ils parviennent tout de même à développer la mosaïque à Rennes. Et c’est surtout la deuxième génération Odorico, celle d’Isidore (deuxième du nom), qui va rayonner sur le Grand Ouest, avec la création de succursales à Nantes, Angers et Dinard.
Les mosaïstes surfent sur la vague hygiéniste
« Au delà du goût nouveau pour la mosaïque, plusieurs facteurs expliquent le succès des Odorico à Rennes. D’abord le renouvellement de la technique avec le procédé par inversion qui permet de réduire les coûts et travailler plus vite » indique Gilles Brohan, Animateur de l’architecture et du patrimoine et responsable du service Rennes Métropole d’art et d’histoire. « En parallèle, le développement du tourisme en Bretagne avec les villas construites dans les stations balnéaires, donne du travail aux mosaïstes italiens. Et l’autre facteur qui joue en faveur de ce nouvel élément décoratif, c’est son côté facile d’entretien qui correspond aux progrès de l’hygiénisme à l’époque ».
La mosaïque redevient à la mode
Les mosaïques Odorico deviennent alors à la mode. Au début du XXème siècle la mosaïque apparaît comme le matériau idéal pour les commandes publiques de bâtiments, pour les écoles, les crèches ou les piscines. Le meilleur exemple à Rennes est la remarquable piscine Saint-Georges de Rennes, décorée en 1925 et classée monument historique en 2016. Un exemple d’architecture hygiéniste et un investissement durable, puisque les nageurs viennent toujours y faire des longueurs le long de la frise de 96 mètres avec ses émaux verts et bruns en forme de vaguelettes. A Rennes, de nombreux autres monuments, commerces et églises témoignent du savoir-faire de la famille Odorico.
Chez les particuliers, dans les écoles, la mosaïque s’impose
Dans les maisons des particuliers, la mosaïque trouve aussi sa place. Chaque demeure doit désormais avoir sa salle de bains, une pièce nouvelle au début du XXème siècle. « Même dans les entrées de maison ou d’immeubles anciens, on se met à remplacer les parquets par de la mosaïque, pour pouvoir plus facilement laver à grandes eaux les intérieurs » raconte Philippe Bohuon. Même chose dans les écoles où la Loi Ferry encourage à construire des établissements scolaires un peu partout. Des lieux d’enseignement où on fait des travaux pratiques sur des paillasses en mosaïque. Une des plus anciennes salle de classe de Rennes, au Lycée Emile Zola, est d’ailleurs entièrement recouverte de mosaïques.
Le décor, qui avait au départ une vocation ostentatoire dans les églises, s’impose alors par son côté utilitaire, avec une luxuriance de motifs.
Le style Odorico : la patte de l’artiste
La technique par inversion, qui permet de préparer des motifs de 50 centimètres de côté en atelier, facilite grandement l’accès à ce type de décor pour des motifs simples et géométriques. Mais la famille Odorico ne se distingue pas uniquement par sa maîtrise technique. « Odorico savait incorporer dans des motifs en ciment assez sobres de petites pâtes de verre qui font ressortir les couleurs en jouant sur la lumière » détaille Philippe Bohuon. Une « signature » Odorico qui contribue à sa réputation en Bretagne.
L’âge d’or commence avec l’Art déco
La touche artistique est encore accentuée par la deuxième génération. Isidore Odorico suit une formation aux Beaux-Arts de Rennes. Selon Gilles Brohan, « cette veine artistique lui permet de recomposer des décors, de créer, alors que la première génération était plus dans l’exécution et la reproduction d’éléments anciens ». En pleine période de l’Art déco, le fils Odorico, très doué pour le dessin, imagine alors des modèles très créatifs.
Les formes stylisées assez classiques des premiers mosaïstes rennais, laissent la place à des décors plus libres dans les formes et les lignes. Les matériaux et les couleurs changent également dans les années 20. Alors que les mosaïstes du XIXème travaillaient le marbre ou la pierre, la seconde génération utilise le ciment, le grès cérame, beaucoup moins cher.
Un savoir-faire pour répondre à toutes les commandes
Autre avantage de l’Art déco : les motifs plus abstraits et géométriques nécessitent moins de découpes. Ce qui n’empêche pas les Odorico de répondre à des commandes très précises et prestigieuses. Pour la villa le Petit Caruhel, d’Etables-sur-Mer, c’est le peintre Maturin Méheut qui livre des modèles à réaliser sur les sols. Dans l’église Sainte-Thérèse de Rennes, on retrouve à la fois des motifs Art déco et des thèmes religieux figuratifs. Tout le savoir-faire Odorico se résume dans cette capacité à synthétiser les techniques artisanales et artistiques, à répondre à des commandes spécifiques tout en gardant un style reconnaissable au premier coup d’oeil.
Encore des trésors cachés à découvrir
Aujourd’hui, on peut encore voir beaucoup de mosaïques, en particulier de la deuxième génération, à l’occasion des visites guidées organisées par l’Office de Tourisme. La période de l’entre-deux guerres a été particulièrement prolifique à Rennes. Les ateliers Odorico ont compté jusqu’à une centaine d’ouvriers. Rennes était alors le plus important centre de production de mosaïques en France.
Un patrimoine à découvrir et à préserver
Les premiers ateliers, situés rue Joseph Sauveur se sont agrandis rue de Léon, où le bâtiment a été transformé en logements. Une partie de la mosaïque de la façade peut encore être admirée au musée de Bretagne des Champs Libres où une grande exposition consacrée à Odorico a été organisée en 2009. Une autre partie de la mosaïque serait encore sur le site, un trésor caché de plus dans la capitale de la Bretagne ! Il en reste d’autres qui se révèlent à l’occasion de travaux de rénovation. Sous les linos des années 50 on découvre parfois de belles salles de bains en mosaïques. Daniel Enocq, un Rennais passionné des mosaïques Odorico, en fait d’ailleurs l’inventaire au fil de ses découvertes pour que ce patrimoine ne tombe pas dans l’oubli.
La famille Odorico, dont l’activité a continué jusqu’en 1978, fait incontestablement partie de l’originalité du patrimoine rennais. Des Halles centrales, en passant par la piscine Saint-Georges, l’Immeuble Valton rue d’Antrain, la Poste République, la rue de la Monnaie, ou l’église Sainte-Thèrèse, l’héritage Odorico est à voir absolument pendant une visite de Rennes. Il suffit parfois de pousser la porte d’un commerce, comme chez l’opticien Regard-Marine (place Sainte-Anne), La Taverne de la Marine Place de Bretagne, le bar le Hibou, Alaska Brocante et Snack (rue Dupont des Loges) pour tomber sur des sols ou des décors en mosaïque. Plus récemment, c’est la Maison Odorico qui a été restaurée et transformée en crêperie-salon de thé.
La mosaïque a marqué la ville de son empreinte
« L’empreinte de la famille Odorico a marqué la ville de Rennes et le Grand Ouest » conclut Philippe Bohuon. « Même les bureaux de Poste de la Côte d’Emeraude de Cancale, Saint-Malo intra-muros, Saint-Briac et Saint-Lunaire ont été décorés de mosaïques Odorico. De même que la poste de Rennes et celle de Vitré ».
Au total, 122 villes de l’ouest recensent des mosaïques Odorico, mais c’est à Rennes qu’on peut trouver les plus importants vestiges d’une technique qui a traversé les siècles depuis l’Antiquité et à laquelle la famille Odorico a ajouté une touche de modernité.