Publié le 26 août 2017 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 27 décembre 2023
Il était une fois… Hélène Jégado
Sur les traces d’Hélène Jégado, la serial-killer bretonne
La plus grande serial-killer de l’histoire, Hélène Jégado, a été guillotinée à Rennes en 1852. Retour sur le parcours de l’empoisonneuse bretonne, qui aurait tué entre 30 et 60 personnes à coup d’arsenic.
L’histoire d’une orpheline devenue serial-killer
Le parcours d’Hélène Jegado, c’est Cendrillon qui se transforme en serial-killer… Née en 1803 à Plouhinec, dans le Morbihan, Hélène que sa maman surnomme « Fleur de Tonnerre », est orpheline très tôt et connaît une enfance difficile. Après avoir empoisonné sa mère, elle quitte sa modeste famille de cultivateurs pour être confiée à ses tantes et devenir domestique. Cuisinière, employée dans des familles bourgeoises, elle va se mettre à semer la mort en empoisonnant ses maîtres. Des crimes incompréhensibles commis par une jeune fille pourtant très pieuse.
Pendant 18 ans, « partout où elle passe, ses hôtes trépassent ». L’arme du crime, l’arsenic sous forme de mort-aux-rats, ne laisse pas de traces et c’est pourquoi elle a pu impunément assassiner plusieurs dizaines de personnes, sans jamais être inquiétée… jusqu’à ce que son itinéraire sanglant la conduise à Rennes.
La mort frappait partout à l’époque
« A cette époque, la vie est très dure en Bretagne, la mortalité est élevée et le choléra sévit depuis plusieurs années » raconte Philippe Bohuon, Adjoint à l’animateur de l’architecture et du patrimoine. « Il y a beaucoup de morts durant cette période, ceux causés par Hélène Jégado s’y ajoutent, mais passent finalement inaperçus pendant des années ».
D’autant qu’en apprenant les décès, elle fond en larmes, perd son emploi et se met en quête d’une nouvelle maison… Même si les employeurs suivants ont connaissance des drames, “La Jegado” n’est pas encore soupçonnée. Et de toute manière, ceux qui ont des griefs contre elle ne vivent pas très longtemps. Quand à la pratique de l’autopsie, en ces temps d’épidémie, elle n’est franchement pas d’actualité.
L’étau se resserre quand elle arrive à Rennes
Quand Hélène Jegado s’installe à Rennes en 1848, elle a déjà derrière elle pas mal de crimes impunis. Et elle ne va pas s’arrêter là. D’abord engagée par la famille Rabot en 1849, elle est peu appréciée du jeune Albert, 9 ans, qui se plaint de son odeur. Il meurt un mois après l’arrivée de la Jegado dans la famille. La mère et la grand-mère tombent également malades. L’arsenic en effet, ne tue pas systématiquement…
Elle est renvoyée, pour une histoire de vols de bouteilles de Bourgogne. Même scénario dans une deuxième famille en 1850, les Ozanne, où le fils Joseph meurt empoisonné. Elle perd encore son emploi en raison d’un vol, d’eau de vie, et de sa grossièreté. Mais elle n’est toujours pas accusée d’être une empoisonneuse.
Elle trouve alors un travail à l’auberge du bout du monde, place Saint-Michel. « Les clients s’en plaignent et elle est un peu surveillée par les propriétaires qui cherchent rapidement à la remplacer » explique Philippe Bohuon. « Mais la patronne tombe subitement malade, ce qui la sauve c’est qu’elle ne peut plus rien avaler, en particulier les plats de la Jégado ». … Une servante de l’auberge décède à son tour avant d’autres morts suspectes chez les employées de l’établissement. Intrigués, les médecins décident d’alerter le procureur de la République.
En juillet 1851, les enquêteurs arrivent chez le nouvel employeur d’Hélène Jégado, l’avocat Bidard de la Noë. La servante jure qu’elle est innocente, alors qu’on ne lui a encore rien demandé. C’est le début de la fin pour la tueuse en série. La première autopsie d’une des victimes rennaises conclut rapidement à l’empoisonnement par arsenic. D’autres corps sont exhumés et, chose étonnante, ils sont encore parfaitement conservés après des mois passés en terre, signe d’une intoxication par un produit chimique.
Entre 30 et 60 victimes au total
Le procès s’ouvre aux assises d’Ille-et-Vilaine en décembre 1851. L’affaire aurait pu avoir un retentissement national, mais le coup d’Etat du 2 décembre de Napoléon III éclipse un peu le procès. Des chansons relatent tout de même son parcours meurtrier, mais beaucoup de zones d’ombres persistent. On ne sait pas combien de personnes ont été tuées au total par Hélène Jegado. Accusée d’avoir attenté à la vie de 37 personnes, dont 25 ont succombé, elle n’est jugée que pour 5 empoisonnements, 5 autres tentatives et des vols. Elle est donc condamnée uniquement pour ses méfaits rennais, les crimes du Morbihan étant prescrits. En prison elle avouera avoir commis deux fois plus d’empoisonnements… Entre 30 et 60 victimes au total, on ne pourra jamais faire le décompte macabre, même si les objets liés aux défunts qu’elle conservait donnent quelques indices sur l’ampleur de ses crimes. Une chose est sûre : Hélène Jegado est encore à ce jour la tueuse en série qui a fait le plus de victimes dans le monde.
Le 26 février 1852, elle est guillotinée sur le Champs de Mars à Rennes. Clap de fin pour « La Jégado ».
Visite guidée de Rennes sur les traces d’Hélène Jégado
Destination Rennes, l’office de tourisme propose une visite guidée de la ville et des lieux liés à l’histoire d’Hélène Jégado. Une visite sur les traces de l’empoisonneuse bretonne qui vous fera passer devant l’ancienne auberge du bout du monde (Place Saint-Michel) dont la façade n’a pas trop changé depuis le XIXème siècle, devant la maison où elle a été arrêtée, non loin de la pâtisserie Durand qui propose un gâteau, à la manière de la Jégado, le poison en moins.
La visite se poursuit face au Parlement de Bretagne, où le procès s’est tenu, avant de s’achever sur le Champs de mars, lieu de son exécution. La découverte de la ville sous l’angle de cette affaire est aussi l’occasion d’évoquer la vie de l’époque à Rennes et d’en savoir plus sur les personnages qui ont marqué la ville. Comme le célèbre chimiste italien Faustino Malaguti qui présidait aux analyses des autopsies, ou le dernier employeur de Jégado, Bidard de la Noë, qui deviendra maire de la ville. Pour les groupes, en visite à Rennes, un rallye est aussi proposé sur le thème d’Hélène Jégado, une véritable enquête à mener au fil des indices laissés dans la ville par l’empoisonneuse… Pour les visiteurs individuels des visites guidées sont également proposées tout au long de l’année.
Réservations à Destination Rennes – Office de tourisme, 1 rue Saint-Malo.
Du livre de Jean Teulé au film de Stéphanie Pillonca
L’histoire d’Hélène Jégado a inspiré des auteurs et son histoire a été racontée en livre et sur grand écran. “Fleur de tonnerre”, c’est d’abord un roman, sorti en 2013, sous la plume de Jean Teulé. L’auteur s’est documenté sur cette histoire criminelle et sur l’Ankou, l’ouvrier de la mort, qui glace le sang des Bretons avec le grincement de sa charrette. L’histoire macabre de cette servante qui empoisonne ses maîtres est arrivée un peu par hasard entre les mains de Jean Teulé, sous la forme d’un gâteau « garanti sans arsenic » de la pâtisserie Durand (lire ci-dessous). L’auteur du « magasin des suicides » y a trouvé une nouvelle recette pour régaler ses lecteurs…
La Bretagne du XIXème siècle “hantée par les sortilèges”
« J’ai été émue par le parcours de cette petite fille malmenée par la vie devenue criminelle et observatrice impuissante de sa propre chute » avoue la réalisatrice du film Fleur de Tonnerre, adapté du roman de Jean Teullé, Stéphanie Pillonca. Au-delà de l’adaptation, elle a voulu décrire une Bretagne du XIXème siècle « hantée par les superstitions, les sortilèges et les croyances qui font froid dans le dos ». Une région qu’elle connaît bien et qui a aussi des côtés plus lumineux qu’elle montre dans Fleur de Tonnerre : « la beauté de la nature, avec ses forêts mystérieuses, la richesse de l’architecture, avec ses chapelles esseulées et énigmatiques et la splendeur picturale des intérieurs paroissiaux ».
- Le film Fleur de Tonnerre de Stéphanie Pillonca est sorti en salles le 18 janvier 2017. avec Déborah François, Christophe Miossec, Benjamin Biolay, Gustave Kervern, Féodor Atkine…
Arsenic et vieilles dentelles, histoire d’un gâteau “empoisonné”
Depuis 2010, le célèbre chocolatier Durand propose un gâteau baptisé “Arsenic et vieilles dentelles”, en référence à l’affaire Jégado. Brigitte Roussel, qui gérait alors ce temple de la gourmandise rennaise, imagine une recette que Fleur de Tonnerre n’aurait pas renié. Sauf que la version actuelle est garantie “sans arsenic” évidemment. Une sorte de galette tendre qui contient de l’angélique confite, dont la couleur verte évoque celle de l’arsenic, du beurre, des oeufs, des amandes hâchées, un peu de rhum de levure et des raisins secs. Une recette bretonne qui rappelle l’histoire d’Hélène Jégado et dont l’idée aurait été suggérée par Simone Morand, une passionnée de la culture du pays Gallo et de la gastronomie bretonne.
Le gâteau, offert à Jean Teulé, lui a donné l’idée d’en faire tout un roman
Et c’est grâce au gâteau concocté par le pâtissier, connu par ailleurs pour ses chocolats numérotés, que l’histoire est arrivée entre les mains de Jean Teulé. Une cliente du chocolatier lui a en effet offert un de ces savoureux gâteaux lorsque l’écrivain était présent au salon Etonnants Voyageurs de Saint-Malo. L’histoire autour de la pâtisserie a séduit le romancier qui en a fait un livre, adapté aujourd’hui au cinéma. Un cadeau loin d’être empoisonné…
Le gâteau d’Hélène Jegado est vendu (13,50 euros) chez le chocolatier Durand. Située sur les quais, la boutique avec sa magnifique façade sculptée est juste à deux pas de la maison où Hélène Jégado a été arrêtée.
- Chocolaterie Durand, 5 Quai Chateaubriand, Rennes. 0299781000