Publié le 30 novembre 2021 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 8 novembre 2024
Il était une fois l’Ubu…
Un club à l’anglaise en plein centre-ville
Accolé au TNB, l’Ubu est une petite salle de concert de 450 places totalement atypique. En plus de 30 ans d’existence, près de 4500 groupes s’y sont produits, parfois pour leurs premières dates en France ou en Europe, comme Lenny Kravitz, Daft Punk, Noir Désir, Portishead… Une scène de musiques actuelles mythique qui vibre particulièrement lors des Trans Musicales, début décembre.
Une ancienne crèche-garderie transformée en club à l’anglaise
Qu’est-ce qui fait l’âme d’une salle de concert ? Sans doute une mystérieuse alchimie entre le souvenir des artistes passés sur scène, la communion avec le public, abreuvé de sons, et le lieu en lui-même. Dans le cas de l’Ubu, rien que le nom en dit long. Atypique par naissance, la salle de concert a ouvert ses portes en 1987. Après s’être appelée « Salle Jarry », elle prend le nom du personnage du Roi Ubu, imaginé par Alfred Jarry lorsqu’il étudiait au lycée Emile Zola, de l’autre côté de la rue. Un personnage inspiré d’un prof de physique un peu fou.
Voilà pour l’ancrage local et le grain de folie. Et de la folie, il en fallait pour transformer la garderie de la Maison de la Culture (l’ancien nom du TNB) en salle de concert. Pour créer ex-nihilo un lieu dédié à la musique, l’équipe fondatrice des Trans (Hervé Bordier, Béatrice Macé et Jean-Louis Brossard) sont allés chercher de l’autre côté du Channel un concept d’un nouveau genre : un « club à l’anglaise ».
La formule magique de l’Ubu : une scène et un bar, en plein centre-ville
« On parle d’un club à l’anglaise parce que c’est une salle de centre-ville avec la scène et le bar dans le même espace, mais surtout parce qu’il y avait beaucoup de liens avec l’esprit rock d’Outre-Manche » explique Tanguy Georget, chargé des projets patrimoniaux à l’Association Trans Musicales (Atm). « L’Ubu était dès l’origine directement branché sur les courants musicaux anglo-saxons. Tout le monde venait y chercher les futures pépites musicales ».
« Hervé Bordier travaillait à la maison de la culture qui s’appelait le Grand 8 à l’époque, il avait bien sympathisé avec Jack Lang et a réussi à créer ce lieu » se souvient Jean-Louis Brossard, programmateur des Trans et de l’Ubu. « À l’époque avec Hervé et Béatrice, on allait souvent à Londres dans des lieux comme le Marquee club, c’est comme ça qu’est né l’Ubu en 1987 et que l’aventure a commencé ».
Jean-Louis Brossard est alors en charge de la programmation. Les concerts s’enchaînent avec un rythme stakhanoviste chaque jeudi, vendredi et samedi soir. « On programmait un peu de tout, on a commencé avec Noir Désir, mais aussi avec le chanteur Henry Rollins ex-Black Flag », se souvient le programmateur des Trans. « On a fait venir beaucoup de groupes anglo-saxons, My Bloody Valentine, Blur, John Spencer Blues Explosion… A l’Ubu, il y a toujours eu une super ambiance, un très bon sound system et d’excellents techniciens. Aucun groupe ne s’est jamais plaint du son ! »
En plus de 30 ans d’existence, l’Ubu en a vu passer des groupes, et pas n’importe lesquels : le premier concert de Portishead, à peine 35 minutes, les premières dates du duo Daft Punk aux débuts de l’electro, la première date en Europe d’un certain Lenny Kravitz… L’Ubu, comme les Trans, se positionne dès l’origine à l’avant-garde des tendances musicales.
Une salle à la configuration biscornue, en forme d’oreille
Est-ce aussi à cause de sa configuration si particulière, en forme d’oreille, que le lieu est devenu l’antichambre des musiques actuelles ? La forme de l’Ubu, c’est toute une histoire. L’espace du bar est quasiment plus grand que la fosse, ses gradins lui donne des faux-airs d’amphithéâtre, sans parler de son fameux poteau qui parfois bouche la vue des spectateurs… Sa présence encombrante rappelle tout simplement que le bâtiment a été construit sur des terrains marécageux. L’Ubu est en effet tout proche de la Vilaine.
Cette forme biscornue fait tout le charme de la salle, le public est au plus proche de la scène. « L’aspect gradin renforce la proximité visuelle. Les artistes ont devant eux une sorte de mur de spectateurs, il y a un rapport presque physique entre le groupe et le public… » fait remarquer Tanguy Georget.
La chaleur humaine, marque de fabrique de l’Ubu
La proximité et la convivialité sont des valeurs particulièrement cultivées par l’Ubu. « L’Ubu, c’est ma deuxième maison » aime à rappeler Jean-Louis Brossard qui a ses petits rituels les soirs de concerts. « J’arrive toujours dès 19h, à l’heure de l’apéro. Je vais chercher les groupes dans les loges on discute un peu, on se présente, on prévoit les rappels directement avec eux… Je me rappelle d’un concert des Tindersticks, c’était la première fois qu’ils jouaient hors d’Angleterre et ils ont fait six rappels ».
La proximité ne se limite pas avec le programmateur et le public, toute l’équipe participe à la convivialité ubuesque. « Avec l’équipe et les groupes, on mange tous ensemble au resto, il y a un lien humain qui se créé, on se recroise souvent, c’est comme une famille. Les gens se rappellent toujours de leur passage à l’Ubu, pas seulement pour le lieu, mais pour le côté humain » insiste le programmateur.
Une nurserie pour les groupes locaux
Pour les groupes rennais, l’Ubu est devenu ainsi un rite de passage. Y être programmé est toujours un moment particulier dans une carrière. D’autant que de nombreux groupes bretons sont accompagnés par les Trans pour roder leur show dans le cadre de résidences artistiques. « L’Ubu reste un laboratoire pour les groupes émergents, les nouveaux noms, c’est de la pure découverte » résume Tanguy Georget.
Et la prog’ ne se limite pas à sa propre saison. Les concerts programmés par les associations et collectifs locaux représentent la moitié des dates. Avec deux formats simples : de la musique live, de 20h à 1h du matin, ou le format clubbing-electro, de minuit à 6h. « J’ai toujours trouvé important de travailler avec les associations locales qui ont des esthétiques différentes des miennes : techno, hard core, rock, punk, tout ça se mélange et donne beaucoup de variétés dans les musiques » souligne Jean-Louis Brossard.
L’esprit de découverte réunit toutes les générations
L’Ubu est enfin un lieu qui s’adapte aux nouvelles tendances musicales et technologiques. Le parc lumière est passé entièrement en led, pour des questions d’économies d’énergie et pour faciliter le travail des régisseurs. Même le bar a fait peau neuve récemment pour accueillir le public dans de meilleures conditions. Bref, l’Ubu fait sa mue tout en conservant sa recette originelle. Pour Tanguy Georget, elle tient dans « l’esprit de découverte sur le festival et sur la saison à l’année. L’effet de surprise réunit des spectateurs de toutes les générations, c’est une salle qui reste ouverte où on se sent bien, il n’y a pas de dress code. Si vous aimez la musique, le lieu va vous plaire. En venant à l’Ubu, on sait d’avance qu’on va passer une soirée particulière. »
Un lieu de patrimoine ouvert à tous les publics
Le point d’orgue de la vie de l’Ubu reste la période des Trans Musicales, début décembre. C’est là que s’ouvre le festival le mercredi et qu’il se clôture, très tard le dimanche. Entre les deux, on peut assister avec ses enfants au concert des familles et découvrir des groupes dans une ambiance plus intimiste que le Parc Expo. Une manière d’accueillir des publics différents. Ce que fait l’Association des Trans Musicales à travers de nombreuses actions culturelles.
Depuis 2013, l’Ubu participe à sa manière aux Journées européennes du patrimoine, chaque mois de septembre, et invite des visiteurs à se mettre dans la peau des techniciens et des musiciens qui préparent les concerts. Une plongée backstage accompagnée d’autres animations : blind-tests, plateaux-radios et même un escape-game. De quoi susciter des vocations et continuer d’alimenter la légende de l’Ubu…