Publié le 11 septembre 2019 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 29 décembre 2023
Il était une fois… la Rue de la soif
La rue Saint-Michel : belle de jour et reine de la nuit
La rue Saint-Michel de Rennes, plus connue sous le nom de « rue de la soif », fait partie du patrimoine de la ville. Comme la galette-saucisse, les Trans Musicales ou le Stade Rennais, elle est devenue un symbole festif de la capitale bretonne. Et si elle a parfois mauvaise réputation, la petite ruelle pavée, avec ses maisons à pans-de-bois typiques, mérite qu’on la regarde sous un nouveau jour.
Un bar tous les 7 mètres : le record de France
Il existe de nombreuses rues de la soif en France, mais celle de Rennes est sans doute la plus connue pour sa concentration de bars. Même si elle n’est pas très longue (un peu plus de 87 mètres), et étroite, on y trouve un bar tous les 7 mètres, selon une « bistrographie » de Mathieu Garnier, expliquée en détail sur le site Datamix. Avec 13 troquets au total, la rue Saint-Michel détient donc le record de France, devant la rue des Cordeliers de Bayonne et la rue de Lappe à Paris. « Enfin un titre pour Rennes ! » résume avec humour le spécialiste des données (et fan du Stade Rennais) à l’origine de cette étude.
Une rue, deux ambiances : le jour et la nuit
Malheureusement, le record de débits de boissons conduit parfois à des débordements qui alimentent la rubrique faits-divers des journaux. La rue Saint-Michel est en effet très animée : noire de monde le jeudi soir, quand les étudiants sont de sortie, mais aussi le week-end et tous les autres soirs de la semaine. Tout le monde s’y retrouve, sauf ceux qui préfèrent l’éviter en raison de sa mauvaise réputation, une fois que la nuit est tombée. En fait, la rue Saint-Michel a deux visages : la journée on peut y admirer les traditionnelles maisons à pans de bois si caractéristiques du patrimoine rennais et elle n’est pas différente des autres rues piétonnes du centre historique. Le soir, on y va plutôt pour prendre un verre en terrasse et faire la fête, jusqu’au bout de la nuit, ou se restaurer rapidement. Une tradition de vie nocturne qui remonte au moins au Moyen Âge.
Un quartier animé depuis la nuit des temps
Le quartier Saint-Michel a toujours été un lieu de passage, depuis les origines antiques de la ville de Condate avec la présence d’une porte et d’une voie romaine qui partait en direction de Saint-Malo. Au Moyen Âge, sur les ruines du château des Comtes de Rennes une chapelle, puis un prieuré, est construit au XIIème siècle à l’emplacement de l’ancienne Prison Saint-Michel, près du rempart (à côté de l’actuelle Place Rallier du Baty). Le lieu est sur une hauteur de la ville et est dédié à Saint-Michel, comme le veut la tradition. C’est cet édifice religieux qui donne son nom à la rue dont l’appellation est avérée dès le XVème siècle.
Un lieu d’accueil quand les portes de la ville se fermaient
« C’était un passage obligé pour entrer dans la ville » raconte Gilles Brohan, animateur du patrimoine à l’Office de tourisme. « A partir du Moyen Âge, des faubourgs se greffent sur l’extérieur du rempart et deviennent densément peuplés, avec une implantation d’auberges, de cafés, de lieux d’accueil… Si on arrivait tardivement en ville et que les portes étaient fermées, on trouvait toujours dans le quartier des possibilités d’hébergement ». Des auberges aux noms évocateurs : hotellerie de la Salamandre, du Cheval Noir, du Marteau d’Or, de l’Image Saint-Michel…
Molière y est passé pour jouer la comédie
C’est ce qui explique aussi pourquoi le Couvent des Jacobins est fondé au XIVème siècle à proximité, sur la Place Sainte-Anne. Comme tous les Dominicains, l’ordre des frères prêcheurs s’implante en effet au cœur des villes pour être au contact de la population, contrairement à d’autres ordres monastiques qui vivent reclus. A l’époque, les activités commerçantes, culturelles, religieuses et industrielles se mélangent autour de la rue Saint-Michel. « Un jeu de paume servait de théâtre dans la cour du Cheval Noir, Molière serait même venu y jouer la comédie. Dans une autre partie, la rue de la fracasserie comptait de nombreux forgerons » explique Gilles Brohan. « Il y a toujours eu une tradition de vie active dans ce secteur aux portes Nord de la ville. Le monde attire le monde, encore aujourd’hui ».
Un patrimoine exceptionnel qui a failli disparaître
En traversant la rue Saint-Michel, avec ses pavés et ses maisons à pans-de-bois et leurs encorbellements, on se croirait un peu au Moyen Age, surtout quand l’ambiance vire à la Cour des Miracles. Pourtant, la plupart des maisons anciennes aux façades colorées qui sont encore debout datent plutôt des XVIème et XVIIème siècle. Elles ont néanmoins conservé le plan médiéval avec des façades étroites. Beaucoup ont été rénovées ou sont sur le point de l’être. C’est un ensemble de maisons à pans de bois parmi les plus homogènes de la ville. Avec comme originalité les décors sculptés du dernier quart du XVIème siècle qui ont tous été réalisés par le même atelier de maîtres-imagiers.
Des détails sculptés révélés par les rénovations
« Les rénovations récentes ont permis de redécouvrir toute une série de décors sculptés sur les maisons à pans de bois avec des croisillons, des brins de fougères » détaille Gilles Brohan de l’Office de tourisme. « Avec certains éléments qui viennent de maisons plus anciennes comme des chimères sculptées, ou un décor de volutes plutôt inspiré de la Renaissance au niveau du numéro 13. Il faut prendre le temps d’observer ces détails sur les façades et lever un peu les yeux. C’est une rue intéressante qui permet de comprendre comment la ville s’est formée au cours du temps de voir la liaison entre le cœur de ville, enserré dans ses remparts et les faubourgs agglutinés autour des murs ».
Un patrimoine comme un livre ouvert sur l’histoire à découvrir notamment en suivant les explications d’un guide-conférencier pendant la visite guidée « Rennes au Moyen Age ».
“La rue de la soif” s’est déplacée au fil du temps
L’histoire n’est pas forcément connue mais toute une partie de ces maisons a failli être rasée à la fin des années 50. L’ilot entre la rue Saint-Michel, la Place des Lices et la rue Saint-Louis était insalubre et voué à la destruction. La Loi Marlaux et le secteur sauvegardé créé en 1966 a permis de sauver ces immeubles et de lancer une campagne de rénovation sur le long terme. Quelques années plus tard, dans les années 70, la rue Saint-Michel sera surnommée “Rue de la soif” avec l’augmentation du nombre d’étudiants et une nouvelle manière de vivre la ville, sur un mode festif. Mais ce n’est pas la seule ruelle à Rennes qui concentre de nombreux bars et restaurants : la rue Saint-Georges occupait déjà cette fonction avant elle, et la rue de Saint-Malo était elle aussi surnommée “rue de la soif” dans les années 80. Le temps passe et les rues changent de nom, mais la soif ne se tarit pas.
Une rue surveillée par des hermines…
Dans la rue de la soif, il n’y a pas que des fêtards dans la nuit blanche. D’étranges hermines s’affichent sur certaines vitrines et fenêtres dans des immeubles en cours de réhabilitation. La rue Saint-Michel fait partie du vaste programme de rénovation du centre ancien entrepris depuis 2011. Dans d’autres rues du centre historique les hermines géantes signalent les façades qui doivent être rénovées pour accueillir de nouveaux commerces à l’issue des travaux qui durent généralement 3 ans. Le nom de code de cette opération ? “Bonne Kozh”, kozh en breton signifiant ancien.
Une opération de rénovation pour la “Bonne Kozh”
Pour habiller les façades de manière originale, Territoires et l’agence Kerozen ont eu l’idée d’utiliser l’animal symbole de la Bretagne pour attirer l’oeil sur ce patrimoine, fragile, qui est restauré. Car la rue de la soif, mérite le coup d’oeil. Si elle concentre de nombreux bars et adresses pour les noctambules, c’est l’une des rues qui compte également le plus de maisons à pans de bois. Alors si vous croisez des hermines un de ces soirs en passant par là, levez un peu les yeux au-dessus des bars pour apercevoir les détails sculptés et les murs qui ne sont pas vraiment d’équerre, comme certains fêtards qui ont trop soif…
- En savoir plus sur les Hermines et l’opération Bonne Kozh