Publié le 22 mars 2022 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 31 janvier 2024
Lucile Viaud
Elle transforme les matières délaissées en verre marin
Lucile Viaud, artiste-chercheure, a installé son atelier à Rennes où elle imagine des objets d’art en verre, fabriqués à partir de coproduits locaux, comme des coquilles d’ormeaux. Une démarche éco-responsable originale, au croisement de l’art, de la science et de l’artisanat. Avec son « verre marin Glaz», dont les nuances changent selon les saisons, elle raconte les paysages de la Bretagne. Rencontre à Rennes où elle a trouvé son « port d’attache ».
Au commencement du design… la matière première
Tous les chemins mènent à Rennes… Celui de Lucile Viaud l’a d’abord conduit à Paris avant de passer à l’Ouest. Pendant ses études en design produit à la prestigieuse École Boulle, elle choisit d’orienter son diplôme sur la création de nouveaux matériaux.
« Pendant 5 ans j’ai passé du temps à me demander pourquoi on nous faisait dessiner des objets sans savoir à partir de quels matériaux ils allaient être produits » se souvient Lucile Viaud. « Je suis issue d’une famille d’artisans, de bricoleurs et d’inventeurs qui travaillent la matière, et ce n’était pas ma façon de voir les choses. J’ai donc décidé de faire mon diplôme autour de la question du matériau, de faire de la recherche sur des nouvelles matières à partir desquels je pourrais créer des objets qui ont du sens. C’est comme ça que je me suis intéressé à la filière halieutique sur la région Bretagne et la valorisation des coproduits de la mer ».
Une ressource sous-exploitée qui contient pourtant beaucoup de matières premières aux multiples vertus. « A l’époque, les déchets de la filière de la pêche et de l’aquaculture, on en faisait surtout de la valorisation de masse pour des secteurs comme la cosmétique, l’agroalimentaire, le pet food ou l’amendement. Il n’existait aucun matériau innovant fabriqué à partir de cette ressource ».
Elle se rapproche alors du centre ID Mer à Lorient qui lui fournit de la matière première. Après s’être intéressée un moment au cuir de poisson, elle commence à travailler sur le plâtre de mer, une pâte de coquillage complètement biodégradable, réalisée presque sans cuisson. En 2015, elle comprend que ces matières premières peuvent lui permettre de créer du verre. C’est comme ça que va naitre « Glaz », son premier « Géoverre ».
Glaz : un verre marin aux couleurs des paysages bretons
Un travail de géo-verrerie qui joue avec les matières et les couleurs. Car pour Lucile, le travail du verre est surtout un prétexte pour raconter un territoire à partir des matières premières qui le composent. « Le verre marin Glaz, d’un bleu vert viridien est fabriqué à partir de microalgues et de coquilles d’ormeaux ou d’huitres » explique Lucile.
« Glaz est cette teinte entre le bleu et le vert qui évoque la couleur de la mer en Bretagne, le terroir d’origine de ce verre. En fonction des saisons, les couleurs varient du vert au bleu selon l’espèce et sa provenance. On a toute une variation de couleurs qui est fascinante. Il existe une vraie analogie avec le travail du vin, comme un cru, un millésime avec une quantité limitée, une production plus ou moins rare. C’est pour cela qu’on travaille en quantité limitée, de la matière à l’objet et selon la ressource disponible, pour en maîtriser l’impact. »
Le verre, un matériau « magique », recyclable à l’infini
Et si elle s’est intéressée au travail du verre, ce n’est pas par hasard non plus. « Le verre est une technique primitive, le premier matériau de synthèse développé par l’Homme. C’est un matériau inerte qui n’interfère pas avec son environnement, pour cela il est précieux et utile. En plus, il a l’avantage d’être recyclable à l’infini. Un atout énorme : une fois que le verre est là, il n’y a plus de perte de matière, nous recyclons tout sans perdre en qualité physique ou esthétique. Pour moi, le verre est matériau d’archive du territoire, il est fascinant ». Parmi les rencontres décisives qui lui ont permis de concrétiser son projet : celle avec Stéphane Rivoal, souffleur de verre à Arcueil. Une relation de confiance qui va se traduire prochainement par la mutualisation de leurs ateliers et la création d’une verrerie dans la région.
« Rennes est mon port d’attache »
Son histoire avec Rennes c’est aussi la rencontre de Ronan Lebullenger, enseignant chercheur à l’Institut des Sciences chimiques de l’Université de Rennes 1. « L’ancrage s’est fait à Rennes où se situe le laboratoire Verres & Céramiques à l’institut des sciences chimiques, juste à côté de mon atelier à la Ferme des Gallets. C’est le seul laboratoire spécialisé en France. J’y ai rencontré Ronan en 2017 et j’ai intégré le laboratoire par la suite en tant que résidente » explique Lucile. « Rennes est devenu mon port d’attache. Même si je développe des verres avec d’autres régions, il y aura toujours un lien avec cette équipe de recherche dans mon travail ».
Pour le chercheur la collaboration et les liens entre art et sciences s’est fait assez naturellement. « On aime ouvrir les portes de nos laboratoires » affirme Ronan Lebullenger. « La démarche artistique et la recherche académique ont plus de similitudes qu’on ne pense. Le verre est un matériau magique pour réaliser des objets artisanaux et faire de l’éco-conception… »
Des rencontres et un accueil pour son projet
« Rennes a été une ville d’accueil pour mon projet. Après huit ans à Paris, j’ai fait beaucoup d’aller et retour à Rennes pour essayer de construire mon projet avec les acteurs locaux, des chercheurs, mais aussi Créativ’ Rennes, la Chambre de commerce, le Poool, l’incubateur Emergys, le réseau Initiative Rennes… Toutes ces structures m’ont aidée à un moment donné et m’ont permis de construire mon entreprise grâce à leur accompagnement, de la formation, de l’aide juridique, du business plan, des aspects que je ne connaissais pas. Grâce à ces personnes, le projet s’est structuré avant même de venir m’installer à Rennes définitivement. Moi qui suis Lorraine, passée par Paris, je suis arrivée à Rennes de nulle part, mais toutes ces personnes m’ont accueillie. Tout s’est fait naturellement grâce à cet accueil. C’est pourquoi je suis si attachée à Rennes : pour ce réseau qui m’a accueillie et aussi pour la gastronomie ! »
« Il se passe quelque chose de rare à Rennes dans la gastronomie »
« Je trouve qu’il se passe quelque chose de rare à Rennes au niveau de la gastronomie. Avec une solidarité et une mise en réseau, du lien entre restaurateurs et producteurs qu’on ne voit pas ailleurs. Il y a beaucoup de bienveillance et de partage dans le réseau culinaire rennais, je trouve ça génial, c’est parfaitement en accord avec ce que j’essaie de faire ».
Des collections sur mesure pour les chefs étoilés
Au-delà des collections qu’elle propose sous sa marque Ostraco, Lucile imagine aussi des objets sur mesure pour des chefs. « Tout part de la rencontre avec un chef avec qui on partage des valeurs, qui sélectionne ses produits. Naturellement, se pose alors la question du contenant qui va sublimer le contenu, tout cela va ensemble. Les échanges sont vites aboutis on développe des pièces en fonction de leurs besoins sur le long terme ». Lucile a ainsi collaboré avec la famille Roellinger à Saint-Méloir-des-Ondes, avec Virginie Giboire, cheffe étoilée du restaurant Racines à Rennes, ou encore avec le chef Nicolas Conraux, chef étoilé de la Butte à Plouider. « Des personnes connues pour leur engagement avec des démarches différentes et admirables ».
« Pour moi c’était naturel de m’orienter vers la gastronomie. Je suis persuadée qu’il faut agir sur tous les plans pour sensibiliser : consommer local en fonction des saisons et des stocks disponibles, et fabriquer des objets en recyclant des matières dont on dispose sur place. C’est la démarche globale qui compte, à la fois ce qu’on mange et l’assiette elle-même… »
Un projet de verre des îles du Ponant
Et Lucile ne compte pas s’arrêter là, elle travaille en ce moment sur un autre projet ambitieux à l’échelle de la Bretagne pour créer un verre des îles du Ponant en partenariat avec l’association Savoir Faire des îles du Ponant. Un réseau insulaire qui s’étire depuis les îles anglo-normandes à l’île d’Aix, en passant par Bréhat, Ouessant, Groix, Belle-île… où la tradition verrière est bien ancrée. « Il existe un savoir-faire verrier qui est extraordinaire sur ces 15 îles c’est presque le Murano français ! »
Si elle assume d’être un peu à contre-courant du design dominant, Lucile n’en fait pas pour autant une posture. « Je ne revendique pas grand-chose si ce n’est le lien entre l’art et la science. Je ne suis pas plus artiste, designer ou chercheuse, pour moi c’est la même chose, Comme un retour à une vision plus ancienne des choses, à l’esprit universaliste où les biologistes étaient à la fois philosophes, dessinateurs et écrivains… »
- Suivez le travail de Lucile sur https://atelierlucileviaud.com/