Publié le 28 juin 2022 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 4 janvier 2024
Arthur-Louis Ignoré (ALI)
Avec ses fresques ornementales, il révèle le décor de la ville
Connu pour ses fresques ornementales sur le sol, Arthur-Louis Ignoré (ALI) est un artiste à part. Installé à Rennes depuis ses études, il entretient un lien particulier avec le patrimoine de la capitale de la Bretagne. Une source d’inspiration pour ses œuvres, souvent éphémères, qu’il créé dans l’espace public.
« A Rennes, j’ai vite trouvé des gens avec qui peindre des fresques »
Comme beaucoup de créateurs et d’artistes rennais, Arthur-Louis Ignoré (ALI) n’est pas arrivé en Bretagne par hasard. « Je voulais faire des études en art et c’est la ville autant que la fac qui m’ont donné envie de m’installer ici. Avant même de m’y installer, je savais que Rennes allait me plaire. Et effectivement j’ai adoré » se souvient ALI, arrivé à Rennes en 2012. « J’avais déjà un œil sur l’art urbain et je voyais ce qui se pratiquait à Rennes, à l’université j’ai tout de suite trouvé des gens avec qui peindre des fresques, c’est comme ça que c’est devenu une passion ».
Sa singularité – peindre des fresques au sol plutôt que sur les murs – est un peu le fruit du hasard. « Je suis allé dans un bâtiment abandonné pour me faire la main, comme tous les murs étaient déjà pris, je me suis dit alors que ce serait chouette de faire une fresque au sol, ça changeait de l’art urbain habituel »
Il commence alors à marquer son empreinte dans la ville, avec un style reconnaissable au premier coup d’œil. Des œuvres géométriques qu’il ne signe pas, son dessin est sa signature. L’artiste est dans la vie comme dans la ville, quelqu’un de discret, un observateur en quête des motifs architecturaux. Pour créer ses ornements, il va en effet chercher l’inspiration sur les façades, comme un écho à l’architecture locale, mais sur un plan horizontal.
Inspiré par les motifs architecturaux et les mosaïques Odorico
« Au tout début de ma pratique j’ai commencé par peindre la rue que j’empruntais pour aller à la fac. Ça me plaisait de créer une perturbation sur ce chemin routinier. Et le faire au sol de manière éphémère ne s’impose pas au regard comme une fresque murale, on tombe dessus par hasard ou en y prêtant vraiment attention » explique ALI. « La première rue où j’ai fait des fresques, c’est celle où j’habitais : rue Dupont des loges. Un quartier où il y a beaucoup de mosaïques Odorico. L’inspiration vient des éléments sur les façades architecturales, mais aussi des formes observées dans la nature. Le végétal a toujours été la première source d’inspiration des artisans. La symétrie vient de là aussi ».
Voilà pour les motifs, toujours différents dans ses créations. Pour la couleur, le noir et le blanc, il utilise une peinture de marquage routier qui avec le temps et les éléments, finit par s’estomper. Ses œuvres finissent donc par se diluer. Comme cette gigantesque fresque sur le toit du bâtiment de la Sécurité sociale peinte en 2015 : 1100 mètres carrés, l’équivalent de deux terrains de basket. « Malgré sa taille on peut très bien passer à côté tous les jours sans le voir. Et en allant à la bibliothèque des Champs Libres on peut tomber dessus par hasard en regardant par la fenêtre. Des fresques qui s’adaptent sans s’imposer brutalement, avec de la douceur, ça me plaît bien ».
Une réflexion sur les matériaux et leur remploi
Son travail est aussi une réflexion sur l’espace urbain. « En intervenant au sol, j’essaie de poser la question de la mobilité : comment on utilise un lieu. La fresque vient souvent accentuer des axes de circulation ou inviter les gens à se poser et à contempler un décor. A force d’être en réflexion sur l’espace urbain, j’interviens maintenant en amont de la création de lieux comme avec la fresque pérenne devant le Pavillon de la Courrouze avec Territoires. Sur ce projet par exemple j’ai travaillé avec les urbanistes en utilisant les matériaux qui sont prévus pour créer un motif, en alternant des briques rouges et blanches ».
Comme beaucoup d’artistes, ALI s’interroge aussi sur le choix des matériaux et leur durée de vie. D’autant qu’il fait partie depuis longtemps de l’association de la Belle Déchette, une ressourcerie où se trouve aussi l’atelier commun. C’est là qu’il a préparé son exposition prévue à l’Orangerie du Thabor pendant l’été 2022 dans le cadre d’Exporama.
« L’ornement a quasiment disparu de l’architecture moderne »
« J’intègre de plus en plus dans mon travail le réemploi de matériaux. De la même manière que je détourne la peinture de marquage routier pour faire de l’ornement » détaille ALI. « Ce qui m’intéresse c’est la manière dont on construit les villes aujourd’hui. Et je me suis rendu compte que la part de l’ornement dans l’architecture moderne a quasiment disparu. On se retrouve avec des bâtiments très épurés, conçus dans une logique de fonctionnalité plus que d’esthétique. Alors qu’à d’autres époques comme dans l’art Nouveau et l’Art déco, l’ornement était très présent. On le voit à Rennes avec les mosaïques Odorico notamment. Aujourd’hui, même avec le béton et ou des matériaux qui ne sont pas pensés à l’origine dans une logique ornementale, on peut les utiliser dans une démarche esthétique ».
« L’art urbain est une manière de remplir des pages blanches »
Finalement, le street-art est peut-être une réponse au dépouillement esthétique des villes modernes ? C’est pourquoi ALI aime associer les habitants en amont de ses créations pour aller chercher les décors cachés, sur les bouches d’égout par exemple. « L’émergence de l’art urbain est une manière de remplir ces pages blanches que sont les murs de béton, de retrouver des formes ornementales. En cherchant bien, on se rend compte que certaines formes sont ancrées dans des lieux, en fonction de l’artisanat local qui fait l’identité des villes. C’est comme raconter une forme d’histoire, une histoire de la forme ».
« Il faut parfois se perdre dans une ville pour la découvrir »
A force de l’arpenter, ALI est même devenu un fin connaisseur de Rennes, il a même servi de « « guide » pour l’émission des Échappées Belles. « Je connais bien la ville je m’y balade beaucoup à vélo, ça laisse le temps d’observer le tissu architectural. Le centre-ville est agréable, j’aime bien faire découvrir des petits détails à mes amis. On n’a jamais fait le tour d’une ville, c’est pourquoi j’aime bien suivre des visites guidées de l’office de tourisme pour découvrir les cours cachées, apprendre des choses sur l’histoire des bâtiments. Il faut parfois se perdre dans une ville pour mieux la découvrir ».
« Le dynamisme culturel de Rennes m’a fait rester ici »
A la fois source d’inspiration et terrain de jeu, Rennes occupe une place à part dans son travail, même s’il est de plus en plus sollicité hors de Rennes. « En matière de promotion de l’art urbain, Rennes est très avance sur d’autres villes : avec le Rue (Réseau Urbain d’Expression), les personnes à la culture qui sont spécialisées dans le street-art, des lieux comme l’Hôtel Pasteur et les appels à projet qui sont lancés… En tant qu’artiste, c’est important d’être soutenu par la ville, j’ai pu bénéficier d’un atelier dans le centre pendant trois ans, d’une aide à la création pour le projet Rouages. Aucune autre ville n’a autant d’ateliers d’artistes. Pour en avoir discuté avec d’autres artistes, c’est très rare. Le dynamisme culturel de Rennes fait que je suis resté et que j’ai envie d’y rester. L’art urbain est devenu populaire et en travaillant à Rennes ça m’a amené sur d’autres projets ».
- Dans le cadre d’Exporama, Arthur-Louis Ignoré expose à l’Orangerie du Thabor du 2 au 24 juillet 2022. Et pendant l’ouverture du jardin du Cloître du Couvent des Jacobins, le week-end du 2-3 juillet, il réalisera une œuvre à l’Office de tourisme sur une bâche de 10 mètres carrés qui sera exposée tout l’été.