Publié le 08 septembre 2021 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 28 décembre 2023
Il était une fois… le réservoir des Gallets
Une fascinante cathédrale souterraine
Le patrimoine rennais recèle de nombreuses pépites architecturales. Le plus secret des monuments est sans doute le réservoir des Gallets. Un ouvrage souterrain, véritable cathédrale avec ses 196 piliers de style roman, construit à la fin du XIXème siècle pour stocker de l’eau potable. Rarement ouvert au public, sauf lors des Journées européennes du Patrimoine. L’occasion de plonger dans l’histoire d’un monument insolite qui rappelle à quel point l’eau est une ressource précieuse.
L’eau a coulé sous les ponts avant que Rennes se dote d’un système d’adduction
L’histoire de l’arrivée de l’eau potable à Rennes n’est pas un long fleuve tranquille. Depuis des siècles, l’accès à cette ressource est pourtant une condition sine qua non du développement urbain. Un enjeu de salubrité publique aussi pour éradiquer les maladies. C’est pourquoi, dès le Moyen Âge, des projets étaient dans les tuyaux.
« Dès le XVème siècle on a essayé d’amener l’eau de Saint-Grégoire et de Saint-Jacques, mais les travaux ont pris du temps. Le premier aqueduc est construit vers 1546, mais les tuyaux ne sont pas assez solides et cèdent quand ils sont remplis d’eau. Plus tard, au XVIIème siècle, d’autres tentatives ont été tout aussi infructueuses » raconte Elise Grimbert, guide-conférencière de l’Office de tourisme.
L’incendie de 1720, qui marque un tournant dans l’histoire de la ville, rend le manque d’eau encore plus criant. « Lors de la reconstruction après l’incendie, l’architecte Gabriel cherche à alimenter la ville avec la source du Quincé à Saint-Grégoire en stockant l’eau dans une sorte de château d’eau, sur la nouvelle place de la Mairie ». Las, si les travaux commencent enfin en 1760, des problèmes de nivellement et le manque de financement enterrent définitivement le projet. Ensuite, la Révolution française n’arrange rien.
Au XIXème siècle Martenot concrétise le projet de réservoir
La question ressurgit à la fin du XIXème quand le maire Robinot de Saint-Cyr prend les choses en main. Rennes est alors très en retard dans ce domaine par rapport aux autres villes voisines, les habitants sont encore approvisionnés par des porteurs d’eau. Le maire de l’époque demande à l’architecte de la ville, Jean-Baptiste Martenot, de s’appuyer sur les nombreuses études précédentes pour enfin faire jaillir l’eau potable à Rennes en allant la puiser dans le Pays de Fougères. C’est là qu’on trouve en effet des eaux suffisamment propres, celles de la Minette et de la Loisance dans le pays du Coglais, dont les sols granitiques font office de filtres naturels.
Une pure idée qui n’est cependant pas du goût des habitants de Fougères. « Au XIXème siècle Rennes et Fougères sont en concurrence, la question de l’eau renforce l’opposition entre la grande ville républicaine qu’est Rennes et les fiefs royalistes autour de Fougères » raconte Elise Grimbert. « Le terrain d’entente est difficile à trouver, beaucoup d’agriculteurs s’opposent au projet. » Qui va encore une fois prendre du retard. Le décret d’utilité publique met fin aux débats endiablés.
Un aqueduc de 47 kilomètres amène l’eau jusqu’au réservoir
Commence alors un chantier pharaonique. Il faut d’abord construire 13 drains qui se rejoignent sur l’Aqueduc de la Minette qui conduit l’eau sur 47 kilomètres jusqu’au site du réservoir des Gallets. Ou plutôt des réservoirs. Un premier construit en 1883, d’une capacité de 15000 mètres cubes et un deuxième, creusé en 1888, un peu plus grand (c’est celui-là que l’on peut visiter à de rares occasions), avec une capacité de 20000 mètres cubes. Un troisième en béton armé sera ajouté en 1919.
Le site n’est pas choisi par hasard : la butte de Coësmes permet de distribuer l’eau au bassin rennais par gravitation. Sur place, se trouve même déjà un plan d’eau et une ancienne carrière. C’est avec une partie de ces matériaux locaux que sont creusés les réservoirs, mis en service à partir de 1883.
196 piliers de schistes et de granit
L’architecte Martenot (à qui on doit notamment les Halles Martenot, le beffroi de l’hôtel de ville et le Palais du Commerce) est épaulé par plusieurs ingénieurs des ponts et chaussées, en particulier Brière, Lesguillier et Belgrand. Les contraintes techniques sont en effet très fortes sur ce genre d’ouvrage et il ne faut pas se louper. Les 196 piliers de 7 mètres de hauteur en schiste et en granit et les voûtes en plein cintre du réservoir des Gallets ne sont donc pas là pour faire joli.
« Contrairement aux églises et aux cathédrales, les contre-buttements sont à l’intérieur pour soutenir les murs sur les côtés. En cas d’erreur de calcul en effet, avec la poussée d’Archimède le risque était que le réservoir sorte littéralement du sol » explique Elise Grimbert qui a réalisé son stage de fin d’études de médiation culturelle chez Eau du bassin rennais qui gère le site des Gallets et le service d’eau potable à Rennes.
« Rien n’indique qu’une cathédrale se trouve sous nos pieds »
On est donc typiquement dans de l’architecture fonctionnelle, en style roman. Du solide. Mais pourquoi le réservoir des Gallets fascine à ce point aujourd’hui, alors qu’il n’est plus utilisé depuis 2012 ? Pour Gilles Brohan, animateur à l’architecture et au patrimoine à l’Office de tourisme, les raisons sont multiples : « D’abord, son côté secret et souterrain qui évoque d’autres imaginaires. Sur le site, rien n’indique qu’une cathédrale se trouve sous nos pieds… Ensuite, quand on la chance d’y descendre, on se sent tout petit. Il y a une forme de vertige à imaginer le réservoir rempli d’eau. Enfin, même si pour nous l’accès à l’eau potable est aujourd’hui très facile, ce monument nous rappelle les efforts qu’il a fallu déployer pour stocker l’eau et à quel point c’est une ressource précieuse ».
« Le réservoir des Gallets est un témoin de l’architecture industrielle » abonde Elise Grimbert. « C’est un monument impressionnant, caché, et finalement pas très éloigné du centre. Il a contribué au développement de la ville. »
Reste que l’installation des Gallets n’a pas changé le quotidien des Rennais du jour au lendemain. Ce sont d’abord les plus aisés qui en profitaient car l’abonnement était coûteux et le branchement au réseau de distribution à la charge des habitants. C’est surtout la partie nord de la ville vers le Thabor qui est raccordée. Dans les autres quartiers on continue d’utiliser des bornes fontaines pendant des décennies.
Depuis 2016 des visites exceptionnelles sont organisées
Visiter le réservoir des Gallets reste un privilège. Depuis 2016, Eau du bassin Rennais organise des visites dans le cadre des Journées européennes du patrimoine. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles se sont vite remplies ! On ne peut en effet y pénétrer que par petit groupe par un escalier en colimaçon difficile d’accès. Sous terre, il fait sombre et on sent bien la présence de l’eau même si le réservoir est aujourd’hui vidé la plupart du temps. Pour le maintenir en état il est toutefois rempli partiellement de temps en temps. Une manière de préserver ce patrimoine dont les vertus pédagogiques sont nombreuses.
« L’eau est la base de tout »
Plus qu’une histoire, l’arrivée de l’eau potable à Rennes est une sorte d’Odyssée qui rappelle l’importance de l’eau dans nos sociétés. « A grande échelle dans le monde on voit bien que les sociétés qui ont l’eau courante sont les plus développées. L’être humain ne peut pas vivre sans eau. Pour nous, c’est acquis de longue date, mais dans les pays en voie de développement trouver de l’eau est la préoccupation principale, c’est la source de tout » ajoute Elise Grimbert. Une histoire qu’elle aime partager et résumer avec cette citation de 1942 de M.J. Laumailler, adjoint au maire de Rennes : « L’eau est la base de tout et vieille comme le monde. Sans eau, sans eau potable, pas de vie et, par là-même, pas d’histoire, pas d’archéologie. »