Publié le 19 août 2021 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 14 juin 2024
Il était une fois… la Place du Champ-Jacquet
La place la plus photogénique de Rennes
Bienvenue sur la place la plus photogénique de Rennes… la Place du Champ-Jacquet. Avec ses maisons à pans de bois penchées comme la Tour de Pise, elle intrigue les visiteurs. Son architecture raconte l’histoire de Rennes, du Moyen Âge à aujourd’hui, et est traversée par le traumatisme de l’incendie de 1720.
Une place au croisement des deux remparts
Avant de se pencher sur les charmes de la Place du Champ-Jacquet, il faut l’imaginer autrement, au Moyen Âge. A cette époque, ses célèbres maisons à pans-de-bois qui forment un étrange château de cartes n’existaient pas encore.
« La place du Champ-Jacquet se situe à la limite de la première enceinte antique et de la deuxième enceinte médiévale. La première passe derrière l’hôtel Hay de Tizé, derrière l’actuel bar de nuit La Contrescarpe qui fait corps avec la prison Saint-Michel. C’est là que se rejoignent les deux tracés du rempart » raconte Gilles Brohan, animateur du patrimoine à l’Office de tourisme.
Le beffroi disparu faisait la renommée de la ville
Dans le bas de la place se trouvait la Tour du Champ-Jacquet qui faisait la renommée de la ville et attirait déjà les visiteurs sur la place. Transformée en beffroi au XVème siècle, la Tour était dotée d’une horloge à automate assez unique. Toutes les heures l’automate représentant Saint-Michel sortait pour terrasser le dragon au son du carillon. L’horloge marquait le temps et rythmait la vie des habitants. Quant au nom de la Place il vient sans doute de la chapelle Saint-Jacques (ou Saint-James) qui était associée au beffroi.
A l’emplacement des actuelles maisons à pans de bois, édifiées au XVIIème siècle, se dressait alors le rempart du XVème siècle. Il existe toujours, les maisons se sont appuyées dessus lors de leur construction comme c’était de coutume, mais il n’est visible que depuis un passage privé qui dessert les appartements. Sur cet emplacement, au niveau du numéro 15, se trouvait ce qu’on appelait alors « la butte aux arbalétriers ». « Les soldats s’y entraînaient au jeu du papegault qui consiste à tirer sur une effigie d’oiseau perchée au bout d’un mât sur le haut du rempart » explique Gilles Brohan. « Le meilleur tireur était sacré roi du papegault, un titre de champion qu’il portait fièrement pendant un an. »
Voilà pour l’ambiance de la Place au Moyen Âge, comme beaucoup d’autres à Rennes elle va se transformer au fil des siècles. Au XVIIème, les maisons à pans-de-bois qu’on connaît encore aujourd’hui sont édifiées. Elles sont typiques de l’époque Renaissance avec des façades plates, une élévation importante et sous les fenêtres des motifs en Croix de Saint-André et des formes de losange.
Pourquoi les maisons sont-elles penchées ?
Mais pourquoi sont-elles donc penchées ? « La première cause du déversement des structures est le réaménagement des intérieurs : des appartements ont été transformés et des cloisons abattues » indique Gilles Brohan. « Ces éléments qui consolidaient le bâti a créé des vides intérieurs qui ont donné de la gite à l’ensemble. Mais ce qui a accentué le déversement c’est le percement de la rue Leperdit au XIXème siècle ».
Pas de panique tout de même, elles ne risquent pas de s’effondrer, leur forme témoigne de la souplesse des structures à pans de bois et aussi le fait que ces logements locatifs étaient construits à l’économie sans structure en pierre. Tout le contraire de l’Hôtel Hay de Tizé construit dans l’angle de la Place au début du XVIIème pour la famille dont il porte le nom. Avec un soubassement en pierre, le mélange du granit et du calcaire, et son escalier à double volée, il en jette.
Si ces traditionnelles maisons à pans-de-bois sont encore debout c’est parce que l’incendie de 1720 a partiellement épargnée la place. Le Beffroi qui faisait la fierté des Rennais a en effet disparu dans l’incendie. « La disparition du symbole de la puissance commerciale de la ville a créé un traumatisme, les Rennais étaient habitués à entendre le carillon qui sonnait chaque heure » raconte Gilles Brohan. « Au moment de la reconstruction l’une des doléances était de reconstruire un beffroi. L’architecte Gabriel avait même imaginé au début une tour isolée, avant de finalement opter pour rattacher le beffroi au bâtiment de la mairie ».
Une place marquée par le souvenir de l’incendie de 1720
Toute une partie sud de la place disparaît donc dans les flammes, mais pas la partie nord. « Ce qui fait le charme de la place aujourd’hui c’est d’avoir face à face une architecture d’avant l’incendie, avec les maisons à pans de bois du XVIIème siècle qui ont échappé au feu face à une partie reconstruite au XVIIIème avec des maisons en pierre. Sur cette place triangulaire la ligne de feu passe en diagonale les limites de l’incendie sont donc encore perceptibles dans le bâti » résume Gilles Brohan. Plusieurs visites guidées de l’Office de tourisme font d’ailleurs étape sur la place, notamment celles sur les maisons à pans-de-bois et sur l’histoire de l’incendie de 1720.
Leperdit, un personnage marquant de la Révolution française
L’histoire peut ainsi se lire dans l’architecture de la place au centre de laquelle trône un personnage emblématique de Rennes : Jean Leperdit. Un Maître tailleur qui s’installe à Rennes à la Révolution et participe à la municipalité avant d’être maire de la ville entre 1794 et 1795. Une période assez courte pendant laquelle il a montré beaucoup de courage face à la Terreur. La ville était en effet plutôt pro-républicaine et modérée dans un contexte national particulièrement violent. Sa statue, commandée à la fin du XIXème siècle pour le centenaire de République, a été inaugurée en 1892 à la place d’une ancienne fontaine. Elle représente Leperdit déchirant une liste de suspects destinés à être guillotinés. L’histoire raconte qu’il aurait défendu les condamnés à mort en déclarant que même s’ils étaient “hors-la-loi”, ils n’étaient pas “hors-l’humanité”.
Ce symbole de résistance à l’injustice a plus tard été déboulonné par les Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale qui ont fondu sa statue. Mais heureusement, sa tête avait été conservée ce qui a permis de refaire une statue en bronze à l’identique en 1994. Ce personnage historique a également une autre plaque à sa mémoire sur la façade de l’actuel bar le Ty-Anna où il vivait et travaillait.
Une place qui va retrouver sa quiétude en devenant piétonne
Du Moyen Âge jusqu’à la Révolution en passant par le Renaissance, la Place du Champ-Jacquet est donc un livre ouvert sur l’histoire rennaise. Et elle va continuer de se transformer prochainement pour retrouver un peu de quiétude. Avec la deuxième ligne de métro et le redéploiement des lignes de bus, la place va redevenir piétonne. On pourra donc encore plus profiter de la vue sur ce qui est sans doute la plus charmante place de Rennes.
Les bonnes adresses de la Place du Champ-Jacquet
La place est aujourd’hui un condensé de l’art de vive rennais avec des terrasses pour manger (chez les Fils à Maman) ou boire un verre (au bar du Champ Jacquet ou chez Mimo’s Garden) ou déguster une crêpe (à la crêperie de La Harpe Noire). Pour les amateurs de jolies boutiques, on y trouve plusieurs adresses pour les enfants (vêtements et jouets), Mint, l’une des plus anciennes boutique de créateurs, une particularité rennaise mais aussi le Kabanon, spécialisé dans le Made In France et les objets et souvenirs à l’image de la ville.
Enfin, la place du Champ Jacquet est aussi le rendez-vous des noctambules avec deux bars de nuit incontournables : la bien-nommée la Place à l’angle au niveau de l’Hôtel particulier à pan de bois. Un établissement qui s’étale sur plusieurs étages. Juste à côté : la Contrescarpe, avec ses faux airs de caveau parisien son nom rappelle la présence du rempart médiéval.
La prochaine fois que vous passerez sur le Place du Champ Jacquet, de jour comme de nuit n’oubliez pas d’ouvrir l’œil pour apprécier ses charmes.