Publié le 06 mars 2019 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 27 décembre 2023
Il était une fois… l’Opéra de Rennes
Inauguré en 1836, l'Opéra est un monument incontournable de Rennes
L’Opéra de Rennes est original à plus d’un titre : sa façade arrondie répond à la forme de l’Hôtel de ville en face, son double escalier a fait scandale, sa fresque bretonne fait lever les yeux au ciel. Et sa programmation joue dans la cour des grands… Lever de rideau sur l’histoire de l’un des plus beaux monuments rennais.
Une façade arrondie en écho à celle de la mairie
D’un côté la mairie, de l’autre l’opéra : deux bâtiments publics symboliques se regardent pour former l’une des plus belles places de Rennes. C’est là où tout le monde se croise, là où les couples se font et se défont, sur scène comme à la ville, avec la salle des mariages d’un bord, face à la salle de théâtre où sont joués de grands airs romantiques. Mais si les deux façades semblent faites pour s’imbriquer, elles ne datent pas de la même époque : l’Opéra est sorti de terre en 1836, un siècle après l’Hôtel de ville, conçu lui par Jacques Gabriel entre 1734 et 1743. Avant la construction de l’Opéra, il y avait un grand vide, cette partie de la place était surnommée la « place aux arbres », en attendant un projet de construction d’un hôtel particulier pour le gouverneur, qui n’a jamais vu le jour.
Après la Révolution de 1830, l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale change la donne. La ville n’a pas encore de salle de théâtre digne de ce nom et les spectacles sont principalement joués dans d’anciennes salles de jeu de paume. « En 1830, la bourgeoisie qui arrive au pouvoir veut affirmer la position de capitale provinciale de Rennes et commande à l’architecte de la ville, Charles Millardet, la construction d’une salle de spectacle » raconte Gilles Brohan responsable du service métropole d’art et d’Histoire de l’office de tourisme. « Dans un premier temps il est prévu de la construire sur l’actuel Contour de la Motte. Mais l’emplacement face à l’hôtel de ville, en plein cœur de Rennes, finit par s’imposer comme une évidence ».
Un théâtre à l’italienne au cœur de Rennes
Le projet ne fait pas l’unanimité. L’architecte Charles Millardet imagine un théâtre à l’Italienne pour jouer avec l’architecture de l’hôtel de ville situé en face. « On est en pleine vague du romantisme et l’Antiquité est toujours à la mode » explique Gilles Brohan. « L’architecte s’inspire du théâtre antique de Marcellus à Rome dont l’hémicycle est avancé sur la ville. A l’époque le choix de s’inspirer d’un théâtre à l’italienne n’a pas du tout été compris par les Rennais, qui auraient préféré par chauvinisme un théâtre à la française avec une façade plate. Faire un théâtre à l’italienne avec une façade en rotonde était un parti-pris architectural osé qui permettait d’épouser la courbe de l’hôtel de ville ».
Et c’est ce qui en fait encore aujourd’hui un monument original avec sa façade néo-classique, surmontée de colonnes et de chapiteaux. Un véritable temple de la culture, dominé par dix statues, avec Apollon, le dieu des arts, bien entouré par ses muses.
Autre originalité du projet architectural, il s’intègre dans un ensemble plus vaste très moderne pour l’époque, peut-être même trop… « Charles Millardet inscrit la salle de spectacle dans un programme immobilier plus large avec les immeubles qui encadrent l’opéra et des galeries traversantes et commerçantes dans l’esprit des passages couverts parisiens de l’époque » détaille Gilles Brohan. Hélas, ce concept de « galerie-promenoir » n’a jamais vraiment fonctionné et les commerces ont vite fermé, les badauds préférant arpenter le centre de la Place plutôt que de passer sous les arcades qui avaient pourtant attiré l’attention du plus célèbre touriste du XIXème siècle : Stendhal lui-même.
Quand Stendhal vantait le charme des arcades de l’opéra
Dans ses « Mémoires d’un touriste », Stendhal raconte son long voyage au départ de la Bretagne. Un périple au cours duquel il égratigne de nombreuses destinations. De Vannes, en passant par la Normandie, jusqu’en Suisse et en Italie, peu de villes trouvent grâce à ses yeux et, à titre de comparaison, ses commentaires feraient passer les avis acerbes de voyageurs sur Tripadvisor pour des compliments. Dans ce flot de critiques, Rennes fait figure d’exception. En visitant la ville en 1837, juste après l’inauguration de l’Opéra, l’auteur du Rouge et le Noir tombe sous le charme de la capitale bretonne : « Comme je savais que Rennes avait été entièrement détruite par l’incendie de 1720, je m’attendais à n’y rien trouver d’intéressant sous le rapport de l’architecture. J’ai été agréablement surpris. Les citoyens de Rennes viennent de se bâtir une salle de spectacle, et, ce qui est bien plus étonnant, une sorte de promenade à couvert (première nécessité dans toute ville qui prétend à un peu de conversation) ».
L’une des deux galeries sert aujourd’hui d’entrée des artistes, mais vous pouvez emprunter l’autre pour aller manger au célèbre Café Picca, qui existait déjà sous un autre nom lors de la construction de l’opéra avant d’aller réserver votre billet pour un spectacle. Sous les arcades, la vue sur la Place n’est pas la même, laissez-vous donc guider sur les pas de Stendhal.
Des décors originaux magnifiquement restaurés
A l’intérieur de l’Opéra on retrouve le style si particulier du théâtre à l’italienne. Auparavant, on entrait par la Place en passant deux rangées de grilles, désormais remplacées par des fenêtres pour éviter les courants d’airs et préserver les cordes vocales des artistes. Dans les deux colonnes de la salle de la rotonde, il reste les vestiges de boites à sel, là où on achetait les billets. La pierre porte encore la trace des petites mains qui venaient se procurer le sésame pour entrer dans la salle.
Une salle de spectacle à l’origine d’un autre scandale en 1836. L’architecte n’avait vraiment pas fait les choses dans les règles de l’art : pour accéder au parterre, il fallait monter 44 marches par un double escalier. Du jamais vu qui fait encore suer de nos jours les coureurs du Rennes Urban Trail qui escaladent, pour le plaisir, cette facétie architecturale.
Ravagé par un incendie en 1856
Tous ces détails choquants ont fini par être oubliés, à tel point que lorsque l’opéra est ravagé par un incendie en 1856 à cause d’un feu de cheminée mal éteint dans le foyer, on décide de le reconstruire à l’identique. On change juste le code couleur des fauteuils en passant du bleu et or, très aristocratique, au velours rouge / bordeaux toujours en place depuis la dernière restauration de l’Opéra en 1999.
Entretemps, d’autres décors ont pris place dans l’opéra. A la riche déco de la rotonde signée Jobbé-Duval (à l’origine de la superbe salle des mariages de la mairie juste en face) avec ses Puttis, petits anges grassouillets symbolisant les arts de l’opéra, s’ajoute une fresque de J.-J. Lemordant en 1913 représentant une farandole bretonne montant au ciel. Un plafond original qui mérite le coup d’œil, en particulier pour les détails des costumes traditionnels. Autre fresque bien, plus exclusive, le salon des poilus peint par Camille Godet (auteur de la fresque de la salle de la cité) reste réservé à des yeux VIP. Dans le foyer on revanche, pendant l’entracte on profite d’une vue sur la place et l’hôtel de ville et les murs portent encore les noms des compositeurs en vogue : Massenet, Gounod, Mozart, Verdi, Léo Delibes…
On venait au théâtre « pour voir et être vu »
Le choix de faire un théâtre à l’italienne à Rennes s’explique aussi par le jeu social qui prévaut dans un lieu de spectacle. Au XIXème siècle, on vient surtout au théâtre « pour voir et être vu » et le respect pour les artistes n’est pas vraiment d’actualité : on discute, on commente, le spectacle et les acteurs ne sont pas que sur scène, le public joue aussi sa propre partition en donnant son avis sur le jeu des acteurs et des chanteurs. La forme de la salle en fer à cheval, les loges tournées vers le public et les trois balcons reflet de la hiérarchie sociale, font de l’opéra un lieu de socialisation où tous les milieux se superposent et s’observent. Au troisième balcon, surnommé le poulailler, les étudiants se mêlent aux prostituées quand au premier balcon et dans les loges, les bourgeois jouent d’autres scènes. Tandis qu’en bas face à la scène on retrouve les classes moyennes . Aujourd’hui les meilleures places pour voir le spectacle ne sont plus les mêmes, aller à l’opéra reste un grand moment, abordable selon où on se place et surtout moins bruyant. Et la salle a conservé son côté chaleureux grâce à sa forme si particulière…
Visitez les coulisses de l’Opéra
Pour découvrir l’Opéra de l’intérieur, le mieux est sans aucun doute d’aller voir un spectacle. la programmation est très variée et les tarifs accessibles à tous. Régulièrement, l’opéra propose aussi des visites guidées pour découvrir le bâtiment, ses décors et pénétrer dans ses coulisses. On arpente la rotonde, on monte sur scène, on admire les loges et la salle côté cour et côté jardin…
A l’occasion de ces visites on entre même dans les loges et on passe sous la scène dans “la forêt”, les dessous de l’opéra que le public ne voit pas. Une deuxième salle est même située sous la scène, une salle de répétition qui porte le nom de Pierre Nougaro, le père du chanteur Claude, qui a dirigé l’opéra de Rennes dans les années 1950-1960. Des anecdotes sur l’opéra il y en a plein d’autres, les visites sont l’occasion d’en savoir plus sur le bâtiment et son histoire. A noter enfin que l’opéra se visite gratuitement lors des journées européennes du patrimoine chaque mois de septembre.
- Visites guidées de l’opéra (de 2 à 5 euros).
Opéra sur écran(s), un show grand format
Tous les deux ans, l’Opéra s’invite sur des écrans géants d’une trentaine de villes en Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire. En partenariat avec les opéras de Nantes et d’Angers, un opéra bien connu du grand public est mis en scène et retransmis en direct dans plus de 30 villes, sur les places, dans des salles de spectacles, des cinémas, sur les terrasses des cafés et même à la piscine des Gayeulles de Rennes. Sur la Place de la mairie le spectacle attire près de 20.000 personnes en plein air qui viennent prendre un grand bol d’air (d’opéra).
Un opéra ancré dans l’histoire et tourné vers le futur
A ceux qui pensent que l’opéra n’attire que les personnes d’un certain âge, l’Opéra de Rennes démontre tous les jours que le théâtre chanté peut captiver toutes les générations. De nombreux événements pour les jeunes et les familles permettent de s’en rendre compte et découvrir l’opéra autrement, de manière ludique. L’opéra de Rennes, dirigé par Matthieu Rietzler, utilise également beaucoup les nouvelles technologies en collaborant avec des start-ups du territoire. Exemple avec la visite immersive en 3D, proposée avec Artefacto à travers une application gratuite en réalité virtuelle baptisée les clés de l’Opéra. Démonstration en vidéo
Enfin, saviez-vous que l’Opéra de Rennes avait même fait le voyage en 2018 au Consumer electronic show (CES) de Las Vegas ? Histoire de montrer comment les nouvelles technologies sont utilisées à l’opéra, avec notamment la modélisation en réalité virtuelle de la salle réalisée avec ESI Groupe et la restransmission de concerts en audio 3D. L’opéra de Rennes na pas fini de vous surprendre !