Publié le 12 février 2018 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 5 octobre 2023
Clothilde Auger
Histoire d’une métamorphose au cœur de Rennes
Photographe, plasticienne, Clothilde Auger a suivi les travaux de rénovation du Couvent des Jacobins de Rennes et sa métamorphose en centre des congrès. Un travail artistique et une exploration des lieux qu’elle raconte à travers un livre et une exposition.
« Le couvent était devenu un fantôme dans la ville»
Diplômée des Beaux-Arts de Lyon et de Rennes, Clothilde Auger aime explorer les lieux en mutation. Après des projets menés dans des carrières en Bretagne, à la Sucrière et aux Subsistances de Lyon, elle s’est attaqué à un monument rennais : le Couvent des Jacobins, situé Place Sainte-Anne. De 2012 à 2017, dans le cadre d’un projet artistique soutenu par la Direction Générale de la Culture de Rennes Métropole, elle a plongé son regard dans ce lieu de patrimoine transformé en centre des congrès. Un travail photographique posté sur son blog, pendant toute la durée des fouilles et des travaux. Depuis l’ouverture du centre des congrès en janvier 2018, Clothilde Auger propose un livre et une exposition, dans la salle capitulaire du Couvent. Restitution de 5 ans d’un travail artistique assidu, une sélection parmi plus de 5000 clichés pris mois après mois sur le site.
« La photographie reconstitue une mémoire collective »
« Je m’intéresse aux lieux en mutation, transformés par l’action humaine » explique la photographe. « Des lieux de travail qui ont un lien fort avec un passé géologique, comme les carrières en Bretagne, ou avec un passé historique, comme c’est le cas aux Jacobins. La photographie constitue une mémoire, elle synthétise une empreinte du réel avec une mémoire collective et la perception personnelle du spectateur. La photographie, tout comme le chantier, porte en elle un imaginaire et une dimension symbolique forts ».
Un lieu unique qui valait bien un regard subjectif. L’idée du projet n’était pas seulement de documenter le chantier, mais d’amener le regard du public vers l’histoire d’un bâtiment qui s’était effacé de la ville au fil du temps, avant de trouver un nouvel usage.
« J’avais découvert le lieu lors de la Biennale d’art contemporain de 2007, c’était un bâtiment abandonné que les militaires avaient transformé en lieu purement utilitaire. Il y avait quelque chose d’assez touchant de voir ce bâtiment fragile, maintenu en survie. Les brèches étaient colmatées, tant bien que mal, avec des rustines, comme dans un état d’attente… » se souvient Clothilde. « Malgré son potentiel, le Couvent des Jacobins avait été effacé de la ville, c’était devenu un fantôme qui n’avait plus de réelle existence ».
Arpenter le lieu dans tous les sens
A force de photographier le Couvent des Jacobins, Clothilde a tissé un lien presque intime avec lui. Un corps-à-corps photographique dans un bâtiment qu’elle a parcouru dans tous les sens. « Mon objectif était de suivre l’évolution pas à pas et de me laisser porter par cette aventure. J’y allais au moins une fois par semaine, pour arpenter les lieux, sillonner le bâtiment et m’en imprégner. En tant que photographe, c’était une remise en question permanente. A chaque visite, les axes de circulation et la lumière changeaient. Visuellement et plastiquement, d’une semaine sur l’autre, on basculait dans autre chose. Comme le bâtiment, on se retrouve alors perdu, en reconstruction. Mon travail est basé sur ce rapport physique au lieu, au plus près de la matière avec un appareil photo léger de reportage ».
Déconstruire pour mieux reconstruire
Certaines phases du chantier l’ont particulièrement marquée. « La première phase était un retour en arrière, avec la mise à nu de tous les rajouts, un gros décapage qui n’a laissé que l’ossature et l’essence même du bâtiment. Une remontée dans l’histoire, une déconstruction de préchantier. » Avec notamment les fouilles archéologiques qui ont permis d’en savoir plus sur le quartier antique qui préexistait avant la fondation du Couvent au XIVème siècle.
Ensuite est venue la phase de « lévitation » du Couvent. « Pendant la phase des pilotis, on avait l’impression que le couvent avait été littéralement extirpé de la terre, à 15 mètres de hauteur… Comme si le sol s’était dérobé, le mouvement inverse d’une élévation classique d’une construction. Ce chantier est une histoire de corps-à-corps, de corps à sol : corps du bâtiment avec les corps des sépultures, des archéologues, des ouvriers et artisans. »
L’âme des lieux bien conservée
La gamme de couleurs des photos de Clothilde suit également les changements de matériaux. La terre, marron, ocre, s’efface peu à peu du chantier. « L’arrivée du béton, gris, bleu, l’élévation des murs, les perspectives qui s’ouvrent ou se bouchent, l’émergence de nouvelles formes et de matières plus contemporaines, lisses et rectilignes était intéressante. Au fil du temps, la dimension du nouvel usage s’impose ».
Au final, la photographe avoue elle aussi être passée par plusieurs phases : « De la fascination des vieilles pierres, à la perte de repères, avant de voir les anciens et les nouveaux matériaux cohabiter ». Pour son voyage immobile au centre de la ville Clothilde Auger a emmené avec elle deux livres de photographies, comme sources d’inspiration : Gordon Matta-Clark pour l’angle “art de débâtir” et Les Américains de Robert Frank pour le côté “reportage d’un vécu”, une immersion au long cours.
Et si le Couvent d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le fantôme des origines, Clothilde Auger apprécie les nouvelles ambiances. « J’aime les choix des matériaux de l’architecte, notamment son travail de la lumière. L’architecture a ce point commun avec la photographie. Les plaques de métal sur le nouveau bâtiment, avec la verrière de l’atrium, amènent le soleil du matin à éclairer le couvent d’une lumière intérieure. On voit bien que la captation de la lumière et le respect de l’âme des lieux ont été les priorités des architectes »
“Still alive”, une expo et un roman photographique
L’exposition de photographies de Clothilde Auger est installée dans la salle capitulaire du couvent, un lieu qu’elle apprécie particulièrement. « La salle capitulaire était un lieu de médiation, de réflexion, je suis contente que l’exposition photographique y soit installée car il y a un lien avec la contemplation des photos. Un lieu de mémoire aussi, beaucoup de moines étaient enterrés sous cette salle ».
Au-delà de l’exposition, le travail de l’artiste se concrétise également avec un livre, « Still Alive », un roman photographique. « Le livre se prête bien à l’esprit des lieux, la lecture se pratique au calme, une intimité s’installe avec lui, on feuillette, le temps s’écoule. Le livre est un travail différent de l’exposition, il a un lien direct avec une histoire». Une histoire qui n’est pas prête de se terminer, puisque les photographies seront retravaillées avec le temps et l’action de la plasticienne, comme pour faire muter aussi l’objet photographique.
Quant au titre, Still Alive, plusieurs lectures sont possibles : « le fait que le bâtiment soit toujours debout, malgré les années, est une belle prouesse. C’est aussi un jeu de mots avec la signification de ‘nature morte’ et de ‘vie silencieuse’. La photographie est un acte de résistance contre le temps et la disparition, c’est ce que signifie aussi Still Alive ».