Publié le 24 novembre 2016 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 18 décembre 2023
Jean-Louis Brossard
L'aventure des Trans Musicales racontée par son programmateur
Arrivé à Rennes dans les années 1970 pour faire ses études, Jean-Louis Brossard explore depuis près de 40 ans les avant-gardes musicales. Toute l’année, il parcourt les festivals et les disquaires pour dénicher des groupes surprenants et les faire venir aux Trans’. Des rencontres, des souvenirs de concerts, des anecdotes… il en a toute une collection, comme les milliers de vinyles avec lesquels il partage son bureau. Sans nostalgie aucune, il retrace l’aventure des Trans Musicales. Interview avec un passionné de musique qui a cofondé, avec Béatrice Macé et Hervé Bordier, le plus célèbre festival rennais.
“Les trans Musicales sont nées grâce aux Rennais”
Comment est venue l’idée de créer un festival de musiques actuelles à Rennes ?
C’est en allant au festival Punk de Mont-de-Marsan avec Béatrice Macé qu’on a eu envie de faire les Trans. Il y avait les Clash et plein d’autres groupes, j’avais aimé cette énergie. Le nom est venu d’un disque de jazz qui s’appelait « Trans musiques ». Dès les premières éditions, il n’y avait pas que du rock, on n’était pas limités à une esthétique.
La Salle de la Cité, c’est là que le festival est né…
Oui, c’est là où tout a commencé en 1979. Dans les années 1970 on y organisait déjà les concerts avec notre association Terrapin. A l’époque à Rennes il y avait un concert tous les 3 mois, maintenant il y en a dix par jour ! Rennes a beaucoup évolué avec la musique, la ville est connue pour ça. En juin 1979, dans la salle de la Cité, qui s’appelait la Maison du Peuple, nous avons organisé 2 jours de concerts avec uniquement des artistes de la scène rennaise.
Les Trans sont nées comme ça, grâce aux Rennais, des étudiants et des jeunes travailleurs. L’idée était de montrer les groupes locaux qu’on aimait bien. On faisait tout nous-mêmes on montait la sono, on se chargeait de la sécu et des sandwichs, on collait les affiches, on distribuait des K7 pour les bars. C’était très artisanal.
Il paraît qu’on a redécouvert les fresques ouvrières de la Salle de la Cité suite à un concert de Bérurier noir. La chaleur a fait se décoller les plaques qui les recouvraient ?
C’est bien possible. En 1986, on a fait un concert, la fiesta bérurière avec Bérurier noir et 3 autres groupes. C’était incroyable, les Washington Dead Cats balançaient des légumes et de la farine sur le public, le lendemain matin ça sentait la soupe de poireaux partout ! Il y avait une très bonne ambiance, les « Béru » ont un très bon public. Ils sont revenus plusieurs fois, notamment pour la soirée des 30 ans.
On aime cette salle, Beck, Björk et plein d’autres y sont passés. La Cité, c’est l’esprit de Rennes, tout simplement.
Le Bistrot de la Cité fait aussi partie des lieux indissociables de l’histoire des Trans ?
Philippe, le boss du bistrot, était membre de l’association des Trans. Il a aussi travaillé dans des bars comme le Chatham, le Stanley. Des « lieux de perdition » où je passais du temps étant étudiant. Le Bistrot de la Cité fait partie de ces endroits qui programment beaucoup de concerts. Un lieu qui mélange des publics différents, dans une très bonne ambiance.
Est-ce que les Trans auraient pu naître sans le public étudiant, connu pour sa curiosité ?
Je ne sais pas. L’histoire s’est construite avec les Rennais, le public est arrivé au fur et à mesure. Pour les premières éditions, le public avait entre 18 et 30 ans. Aujourd’hui, on vient aux Trans dès l’âge de 14-15 ans, le public s’est rajeunit, on fait même des concerts pour les plus petits à partir de 6 ans.
Les gens qui viennent à Rennes arrivent de partout, de Bretagne et d’ailleurs, avec leur bagage musical. Ils savent qu’ici c’est plus facile de rencontrer d’autres musiciens.
Les Trans, c’est une histoire écrite avec les musiciens grâce à l’énergie de quelques personnes qui ramenaient des disques de leurs voyages. Les Trans ont toujours été une aventure, encore maintenant avec quarante éditions au compteur
Rencontre avec Etienne Daho
Les Trans sont aussi une histoire de rencontres, comment vous-vous êtes croisés avec Etienne Daho ?
On s’est connus à la fac en 1976. Après deux ans de fac de médecine et mon service militaire je me suis inscrit en Anglais-Espagnol, avant de bifurquer en psycho. Je me suis retrouvé à un cours où il n’y avait que des filles, à part moi et Etienne Daho. On a discuté et le soir, il m’a invité chez lui à manger des galettes… Une histoire incroyable.
Il a commencé à faire de la musique avec le photographe Richard Dumas, et, surtout, il a organisé un concert à la Cité avec les Stinky Toys, son groupe favori. En 1980, il a joué aux 2èmes Trans sous le nom d’Etienne Daho JR, accompagné de quatre musiciens de Marquis de Sade. Il a fait le choix de quitter Rennes à un moment, comme Niagara ou plus récemment les Superettes, ou Her.
Ce qui est assez marrant aujourd’hui, c’est que j’ai plein de potes parisiens, des tourneurs, managers ou musiciens, qui font le chemin inverse et viennent s’installer à Rennes. On sera bientôt la banlieue parisienne avec le nouveau TGV !
Les Trans, c’est aussi un duo avec Béatrice Macé…
C’est ma complice depuis les années 1970, on se complète bien et on arrive à faire un vrai travail avec toute l’équipe. C’est toujours un plaisir de bosser ensemble. On s’est connus dans une soirée après un concert de Nico. Elle était partie pour faire de la linguistique et des études de latin-grec, je l’ai un peu dévoyée dans le rock.
WAR!, un artiste rennais, a signé plusieurs visuels des Trans, comment s’est passée la rencontre ?
Je l’aimais depuis longtemps, je voyais ses visuels tout autour de Rennes. Dans les rues il y a du WAR! un peu partout. Un jour, le téléphone sonne, c’était lui, il voulait me rencontrer. On s’est donné rendez-vous dans un café que je ne citerais pas, il préfère rester assez secret. Il avait envie de faire une fresque pour le Hall 5 et je lui ai proposé de faire l’affiche. On a bu quelques verres de vin, on a discuté, ça s’est fait comme ça. C’est bien que quelqu’un d’ici puisse faire l’affiche des Trans. Surtout un artiste comme lui, avec un très gros capital-sympathie auprès des Rennais.
Autre rencontre, autre souvenir, le premier concert de Nirvana, il y a 25 ans…
Un moment extraordinaire avec un groupe qui a marqué le rock des 20 dernières années. Je les avais déjà vus dans un festival en Hollande au mois de mai 1991, je les ai bookés juste après, pour 10000 francs seulement. Deux mois avant leur passage aux Trans, sort Nevermind. Sur la compil des Trans, j’avais déjà prévu de mettre Smell Like Teen Spirit. Partout dans les bars, tout le monde écoutait l’album à fond. Le concert était absolument magique.
Ce concert fait partie des grands souvenirs de la salle Omnisports, devenue aujourd’hui le Liberté, il y en a eu bien d’autres depuis…
Nous y avons fait beaucoup de soirées, notamment les raves où on utilisait ce qui s’appelle désormais l’Etage, un ancien gymnase. Je me rappelle de concerts avec LCD Sound System, et en bas des concerts énormes comme celui de Boo-Ya T.R.I.B.E., des mecs charmants venus de L.A. Le leader avait sur son torse 7 cicatrices, des impacts de balles. Ils ne voulaient plus quitter Rennes après leur concert. Ils avaient flashé sur la chanteuse tchèque Vera Bila. Une rencontre improbable comme on en voit qu’aux Trans.
“L’Ubu, c’est ma deuxième maison”
Autre salle incontournable de Rennes : l’Ubu, un lieu mythique pour les amateurs de musique ?
C’est une salle particulière avec un excellent sound system et une super équipe. Un lieu en forme d’oreille. L’Ubu est une petite salle, qui peut accueillir 350 personnes pour les concerts et 500 pour les soirées. J’y passe ma vie depuis 1987 et j’y suis toujours bien. Quand je reviens à l’UBU après être allé sur d’autres festivals, je suis super content, c’est ma deuxième maison.
On a vu passer des grands noms à l’Ubu : Portishead, Justice, Blur, John Spencer Blues Explosion, Jeff Buckley, Franz Ferdinand et Daft Punk à leurs débuts. Le premier concert de Daft Punk a failli ne pas avoir lieu. C’était en 1995, l’année des grandes grèves, Thomas Bangalter venait d’avoir son permis et il a transporté leur matériel studio jusqu’à l’avion. Ils sont revenus en 1996, toujours pour un nouveau concert, où ils ont à nouveau joué sans leurs casques. A l’Ubu on a encore la photo où on voit leurs visages…
Le Parc Expo accueille les plus gros concerts des Trans…
C’était un pari. Au début, on y organisait les soirées Planète pour la musique électronique, avec deux scènes, puis trois, de la déco, des lieux de repos. Nous y sommes retournés à un moment où le Liberté était en travaux pour faire autre chose que de l’electro. D’abord deux halls, après trois, puis quatre avec la Green Room qui a pris beaucoup d’ampleur en passant de 400 personnes à 4000.
C’est un lieu où je me sens superbement bien. En 3 minutes, tu passes d’une ambiance à une autre, tu as de la bonne bouffe, tu peux faire une pause. Nous sommes très attentifs à l’accueil du public, pour que les gens se sentent à l’aise et qu’ils puissent se reposer, les soirées durent tout de même de 20h à 6h du matin !
Pour toute une génération de « kids », les Trans sont associées au Parc Expo. Ils n’ont pas la nostalgie des « vieilles » Trans dans le centre-ville. Moi non plus, je ne suis pas dans la nostalgie. Quand des gens me disent qu’ils ne quittent pas le centre, je suis mort de rire.
« Rennes, ville rock », d’où vient cette réputation ?
Dans les années 80, les médias se sont aperçus qu’il se passait quelque chose avec la scène rennaise. Comme d’autres scènes rock qui bougeaient à Lyon, Rouen, Paris et Le Havre. A Rennes, c’était particulier, les médias parisiens sont très vite venus nous voir et ont aimé ce qui se passait. L’esprit rock est toujours là, avec une scène garage très présente, avec des groupes comme Chouette, The Madcaps, Kaviar Special.
Rennes est aussi une ville electro où émergent de nouveaux talents rennais…
Oui, avec les premières raves dans les années 90 dans le cadre de Rave-Ô-Trans, beaucoup de gens ont découvert la musique électronique. Les Rennais étaient un peu les premiers à écouter de l’electro et ça leur a donné envie d’en faire. Je me rappelle avoir invité Invisibl Skratch Picklz, le trio de DJ’s américains. Juste devant la scène dans le public, il y avait un gamin de 14 ans, le futur DJ Netik qui est maintenant plusieurs fois champion du monde de scratch.
On a longtemps parlé de la génération Marquis de Sade qui a marqué son époque, aujourd’hui, il y a une nouvelle vague musicale à Rennes ?
Effectivement, en 40 ans de musiques, beaucoup de choses se sont passées, de nombreux autres groupes rennais se sont fait connaitre : Dominic Sonic, Bikini Machine, les Juveniles qui vont sortir leur deuxième album, Her qui commence à être connu à l’étranger, Totorro et The 1969 Club.
“Le premier endroit où j’ai mis les pieds à Rennes, c’était un disquaire”
Venir aux Trans, c’est l’occasion de découvrir la ville, notamment les disquaires chez qui tu passes beaucoup de temps ?
J’adore aller chez les disquaires, celui où je me sens très bien à Rennes, c’est Blind Spot (36 rue Poullain Duparc). Ils ne font quasiment que du vinyle, avec des bacs assez particuliers, comme la musique psychédélique iranienne, de la musique africaine, beaucoup d’electro et des choses très curieuses, des nouveautés, des rééditions et des secondes mains. Il faut fouiller pour trouver des petites pépites, on peut s’asseoir pour lire… Dès que tu ouvres la porte, tu te sens bien…
Depuis tout petit, j’ai toujours aimé les disquaires. C’est le genre de magasin où je peux passer des heures. Une fois en Angleterre fin 1976 avec Béatrice, nous sommes allés à Rock On, à Londres dans le quartier de Camden. Je suis rentré à midi, j’en suis ressorti à 19h avec 80 45 tours sous le bras, le tout pour 10 livres !
Le disquaire est un lieu d’échange, où tu peux parler de musique avec des passionnés. C’est d’ailleurs à Disc 2000 à Rennes que j’ai rencontré Hervé Bordier, l’autre cofondateur des Trans Musicales. Je venais de quitter Saint-Brieuc pour faire mes études à Rennes et le premier endroit où j’ai mis les pieds c’était évidemment un disquaire où on trouvait des imports américains.
Aujourd’hui encore, même si je reçois beaucoup de choses et que je découvre des groupes grâce à Internet, ou en allant dans les concerts, j’achète énormément de disques. Je ne sais pas combien j’en ai en tout, sans doute plus de 20.000. Dans mon bureau, j’ai la partie jazz, funk et soul, le rock reste à la maison.
J’aime la matière du disque, j’aime lire, regarder, écouter. La pochette d’un vinyle est comme une œuvre d’art, il n’y a pas que le son qui compte.
Les adresses préférées de Jean-Louis Brossard
La bonne musique et la bonne bouffe font bon ménage à Rennes, quel est ton restaurant favori ?
J’aime bien aller au Café du Port (3 rue le Bouteiller). C’est une de mes adresses préférées. Leur spécialité ce sont les œufs, ils les font remarquablement bien, il y a toujours au moins une entrée avec des œufs. Et ils ont aussi de très bons vins, des vins nature et des vins bios.
Qu’est-ce que tu aimes bien faire quand tu rentres à Rennes ?
J’adore me balader avec mon chien, Duke, souvent vers la Prévalaye, près d’un arbre centenaire magnifique. J’adore particulièrement les concerts de grenouilles en été, au bord des étangs. Dans les roseaux, les grenouilles font un potin pas croyable. Un son extraordinaire, il faudrait le sampler.
L’idée de sortie culturelle que tu conseilles absolument ?
J’aime rendre visite à la Compagnie de théâtre Dromesko. Ils sont bourrés de talents et amènent un univers radicalement différent. C’est une chance d’avoir une compagnie de ce genre installée à Rennes. L’ambiance du campement de Saint-Jacques-de-la-Lande est unique, hyper conviviale : on boit, on mange, on discute. J’adore.
Et pour le week-end, qu’est-ce que tu apprécies de faire ?
L’autre chance qu’on a à Rennes, c’est d’être à 45 minutes de la mer. Dès qu’il fait beau, ou même quand il fait un temps de cochon, je prends la direction de Saint-Malo. Juste le fait de savoir que je suis près de la mer me suffit.
Je suis toujours content de rentrer sur Rennes, c’est une ville que j’aime vraiment. Même si je ne sors plus autant que dans mes jeunes années, il y a une offre culturelle extraordinaire avec plein de festivals qui ont chacun leur particularité. On a ici un terreau associatif hyper-actif et une grande diversité culturelle, pas seulement dans la musique, mais aussi dans le théâtre et la danse. On ne trouve ça qu’à Rennes !