Publié le 04 juillet 2019 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 11 octobre 2023
Claude Guinard
La ville comme terrain de jeu
Un jeu sans fin avec la ville…
Un cachalot plus vrai que nature échoué au bord de la Vilaine, un trapéziste accroché à une montgolfière au dessus d’un vélodrome, une lune géante en lévitation dans la piscine Saint-Georges… Autant de performances artistiques surprenantes qui ont marqué les esprits. Toutes imaginées par l’équipe des Tombées de la Nuit, dirigée par Claude Guinard, une personnalité bien connue dans le paysage culturel rennais. Le point commun des événements des Tombées de la Nuit qui coordonnent aussi les Dimanches à Rennes ? Un goût pour le jeu avec la ville, ses lieux, connus ou méconnus, et une envie d’associer les habitants à des projets artistiques un peu fous. Avec les Tombées de la Nuit, la ville devient une scène et nous en sommes tous les acteurs. Le rôle de Claude Guinard dans cette pièce à ciel ouvert ? Celui du marionnettiste invisible qui tire les ficelles en coulisses.
Passé par le TNB, le théâtre de l’Aire Libre et Bécherel, après avoir été éducateur et avoir travaillé à la Maison Bleue (la maison de quartier de Saint-Martin), Claude Guinard entretient un rapport organique avec le territoire. A vélo, ou à scooter, il cherche sans arrêt des endroits où inviter des compagnies et des spectacles qui vont surprendre le spectateur et l’embarquer dans une expérience différente. Sans jamais se mettre de barrières dans la recherche de nouveaux lieux. « Le rapport au territoire a été fondateur pour moi depuis ma première expérience dans l’univers du spectacle au festival du pays de Bécherel » explique Claude Guinard. « Ce qui m’intéresse c’est de faire en sorte qu’un projet artistique s’inscrive in situ, en trouvant des endroits, en s’appuyant sur des acteurs locaux, pour que les gens s’en emparent et deviennent des ambassadeurs. Le lieu est le point de départ, il nourrit une proposition, une aventure, une expérience… »
« Rennes est un terrain de jeu inépuisable »
Des habitants complices, un questionnement sur la place du spectateur, les Tombées de la Nuit n’en font pas pour autant une marque de fabrique. Car Claude Guinard n’aime pas la facilité, et encore moins que ça ronronne. Quitte à ce que ses repérages incessants virent un peu à l’obsession. « En ce moment j’ai des problèmes de pelouse » confie Claude Guinard. Celle du Roazhon Park qui devait accueillir la performance Séville 1982 où des acteurs rejouent tous les gestes du match mythique France-Allemagne. Une performance finalement reportée à 2020. « Pour un autre projet de reconstitution d’un tableau hyper réaliste de vaches dans un pré au milieu des immeubles, il fallait aussi trouver un carré de 20 mètres par 20 en plein cœur de la ville ». A l’écouter, le tissu urbain semble plein de fils conducteurs, ponctué d’anecdotes et de souvenirs improbables : des dominoes géant sur le mail François Mitterrand encore en chantier, à la nuit unique dans la halle de la Courrouze…
Il est comme ça, Claude, il a besoin de « sentir la ville, voir comment les gens vivent le territoire » avant de trouver la clé des champs. Dès qu’il assiste à un spectacle qui lui plaît, il pense intuitivement à un lieu de sa ville pour l’accueillir ou part à sa recherche. “La proposition artistique est le point de départ pour raconter une histoire à un endroit et en multipliant les points d’entrées autour en associant les habitants, les maisons de quartiers, les associations… Rennes est un terrain de jeu inépuisable avec plein d’endroits encore inexplorés ».
Les dimanches à Rennes, la surprise au coin de la rue
Avec les Tombées de la Nuit, il coordonne également les Dimanches à Rennes, des propositions artistiques dans l’espace public, où la suprise est de mise. “On voulait sortir du cliché qui disait qu’il ne se passait rien le dimanche, il faut juste aller chercher et voir ce qui se passe. Le dimanche à Rennes est désormais bien identifié, on ne sait pas trop ce qu’on va y trouver mais c’est le jeu” résume Claude Guinard. “Dimanche à Rennes est un symbole et a mis en lumière la patte rennaise qui consiste à « faire ensemble », mettre en place des synergies, tout en gardant l’indépendance artistique des Tombées de la Nuit. On joue un rôle de passeur avec d’autres acteurs culturels dans une relation intelligente avec la collectivité. C’est jamais gagné d’avance, on tente des choses, c’est pourquoi j’essaie de sentir le pouls de la ville, c’est ce qui m’anime”.
- Voir le programme des Dimanches à Rennes sur https://dar.rennes.fr
« Né avec des chaussettes rouges et noires »
« Avec la culture populaire, l’autre chose qui m’a toujours accompagné en tant que pratiquant et passionné, c’est le sport » explique Claude Guinard, fervent supporter du Stade Rennais depuis son plus jeune âge. « J’ai toujours été fan de foot et du Stade Rennais, je suis né avec des chaussettes rouges et noires ». Une équipe souvent raillée pour son côté « looser » et son manque de titres. Jusqu’à la saison historique 2018/2019 avec un beau parcours en Ligue Europa et une victoire en Coupe de France face à l’ogre du PSG. Comme tous les supporters rennais, Claude a vibré comme jamais après avoir soutenu son équipe, depuis toujours dans les hauts et les bas, un théâtre d’émotions d’un autre genre. « C’est tout nouveau » temporise Claude qui se souvient s’en être « cogné des matchs décevants et se dire chaque année, cette fois c’est la bonne… »
Le Stade rennais, une équipe Shakespearienne soutenue par toute une ville
Mais aujourd’hui tout a changé. « On s’enflamme énormément, c’est dingue ce que le foot peut susciter comme émotions. Les supporters du Betis Séville qui sont venus ici ont formé plein de nouvelles images dans la ville et écrit une nouvelle page de l’histoire de la ville. Il y a un côté anglais et breton de supporter coûte que coûte son équipe… On mérite le titre de meilleurs supporters en France pour cette fidélité et une forme de résilience ».
Au final Claude Guinard se reconnaît bien dans ce club « shakespearien » où les spectateurs ont joué un rôle déterminant. Un parallèle avec le spectacle vivant avec lequel les Tombées de la Nuit ont souvent joué : « On a souvent fait se rencontrer le sport avec les arts » se souvient Claude Guinard : « Notre premier rendez-vous public en 2004 c’était le championnat de France de n’importe quoi à la salle Colette Besson, c’est un signe ». Depuis, il y a eu aussi une performance de 6 heures de deux pongistes dans une salle d’attente de la gare de Rennes. Puis le projet balle de match au Rheu qui faisait se rencontrer le monde du rugby avec la danse contemporaine… Mélanger le sport et le spectacle vivant fait partie de la touche des Tombées de la Nuit. Mais ce n’est pas la seule marque de fabrique d’un festival qui se réinvente chaque année en prenant un malin plaisir à jouer le contre-pied. Histoire que les spectateurs soient constamment surpris à chaque édition. Comme un match de football, dont le scénario n’est jamais écrit à l’avance…
« J’ai grandi les pieds dans la Vilaine »
L’autre élément dans lequel Claude a trempé tout petit et qu’il distille dans la programmation des Tombées de la Nuit, c’est l’eau. Et en particulier le fleuve Vilaine, synonyme de mauvais souvenirs d’enfance, mélange de rires et de larmes. « J’ai une histoire personnelle forte avec la Vilaine » confie Claude Guinard. « Quand j’étais môme, je suis tombé dedans en faisant les cons avec des copains dans un kayak pas vraiment étanche et j’ai longtemps vécu dans le quartier populaire Vélodrome, au bord de la Vilaine. La Vilaine pour moi ce sont des traumatismes : mes parents tenaient un petit commerce, un an après leur installation, ils ont tout perdu à cause d’une crue monstrueuse de la Vilaine et sont ensuite tombés malades. Je me souviens avoir pris un petit déjeuner avec des hommes-grenouilles qui m’emmenaient à l’école en zodiac à Saint-Vincent. La Vilaine j’ai grandi littéralement avec les pieds dedans… »
Un élément qui ponctue souvent le festival des Tombées de la Nuit. « L’eau a toujours été présente. Avec les Tombées de la Nuit on a régulièrement questionné le fleuve, dans le quartier Alphonse Guérin, sur le quai de la Prévalaye et surtout à Apigné où je me suis initié très tôt à la planche à voile ». Claude se souvient notamment d’un ciné plein air avec la projection des Dents de la mer sur la plage d’Apigné, pied de nez rieur au grand prédateur, ou encore du cachalot échoué à la Prévalaye, de la lune géante de Luke Jerram dans la piscine Saint-Georges. « On en fait pas un thème pour autant » esquive le directeur des Tombées qui dit adorer contempler le spectacle des yoles et des avirons du côté de la base nautique, là où une plage vient de pousser dans le nouveau quartier de Baud-Chardonnet.
Les lieux coups de cœur de Claude Guinard
Le bar du Vieux Saint-Etienne (43 rue de Dinan)
« J’adore cet endroit j’y ai vécu des moments mémorables surtout le soir de la victoire en Coupe de France où je suis complètement parti en vrille. Le patron est pourtant Guingampais et nous a donc volé deux Coupes de France, mais il accueille avec grand plaisir et un humour très second degré les supporters rennais. Les soirs de match c’est de la folie. On y croise des rockeurs comme Pierre de Santa Cruz. Le parvis devant le théâtre est très sympa, ça fait partie des endroits où j’aime bien venir regarder la ville ».
Le Pont Saint-Hélier
« J’aime bien me poster là : on voit la ville qui se transforme, avec un point de vue sur la gare qui a fait peau neuve, le quartier EuroRennes en train de grimper en hauteur… c’est un endroit de passage pas très loin de mon quartier d’enfance. On a d’ailleurs fait quelques projets en train, notamment celui de Massimo Furlan. La halle Saint-Hélier j’y travaillais à la chaine étant jeune à l’époque où il y avait la brasserie Kronembourg . Même si je ne suis pas dans la nostalgie, j’ai plein de souvenirs liés à l’enfance. Depuis le pont c’est étonnant de voir comment la ville bouge. Il y a même un côté poétique : Lily du théâtre Dromesko m’a dit un jour que le bruit des trains de la gare de triage lui faisait penser à des chants de baleines… »
Le quartier Mauconseil
« Un petit quartier d’immeubles très ancien avec de la brique, des cours intérieures, un endroit un peu caché, près de la voie ferrée où se trouve la plus petite école de la ville. Quand on s’y promène, on a l’impression d’être sur une île bretonne avec de toutes petites ruelles. On a fait un spectacle là-bas qui a laissé de bons souvenirs : « safari intime ». On allait observer l’espèce humaine dans son quotidien comme une expédition ethnologique. Joué par des comédiens et des habitants, on regardait le spectacle par les fenêtres. Un quartier à part et étonnant que peu de gens connaissent ».
Le vélodrome
« Je garde un attachement particulier au vélodrome, en raison du lien avec mon enfance, mais aussi parce qu’on a fait pas mal de projets à cet endroit-là. Notamment une représentation du Circus Ronaldo, ou encore la compagnie InExtremiste et sa montgoflière en 2018. On y a organisé une séance de cinéma en plein air, c’était la première fois que j’entendais un stade rire. J’y ai vu le premier titre de Bernard Hinault en tant que champion de Bretagne de cyclisme sur piste. Ma passion pour le vélo est née là, d’autant qu’au début mon papa était réparateur de cycles. Ce vélodrome a très peu changé alors que toute la ville bouge autour de lui, c’est un endroit que j’aime beaucoup, un quartier autrefois populaire et ouvrier qui est maintenant très prisé ».
La Java Bleue à Amanlis
« L’autre endroit où je vais régulièrement autour de Rennes c’est la Java Bleue à Amanlis. Une adresse déconseillée aux végétariens ! Un ancien relais de pêcheurs, qui est pour moi un des plus belles table de viandes du coin. Tenu par Billy et Pascal, des spécialistes de l’entrecôte et de la côte de bœuf. Un restaurant avec une ambiance folle. A un quart d’heure de voiture de Rennes, on se croirait totalement ailleurs. L’été dans leur jardin au bord de la Seiche c’est vraiment magnifique, il y a vraiment un brassage surprenant avec les gens du coin ».
Rennes, une ville qui a gardé son côté branque
« Rennes n’est pas une ville immédiate, il faut l’apprivoiser. A l’image de la Place Sainte-Anne où entre le Couvent des Jacobins flambant neuf, un lieu patrimonial avec un nouvel usage de centre des congrès qui fait venir des gens de l’extérieur et juste en face le Ty-Anna, un bar typiquement rennais, ça dépasse tous les clichés en quelques mètres carrés. Si les vieilles pierres sont visibles et présentes partout dans la ville, un peu comme à Bruxelles, il faut prendre le temps d’aller au-delà des façades pour la découvrir. Et c’est assez facile parce que la ville n’est pas très grande. Je dis souvent en plaisantant que Rennes a gardé un « côté branque » qui est touchant, un foisonnement, des trucs qui agacent aussi, de la contradiction. Tout le monde se connaît comme dans un petit village. Mais je préfère que la ville reste branque plutôt qu’elle devienne branchée… »