Publié le 30 juin 2023 par Fabrice Mazoir, mis à jour le 7 mars 2024
Les années 1960, “un miroir en Technicolor de notre époque”
Interview d’Emma Lavigne, commissaire de l’exposition « Forever Sixties »
Au Couvent des Jacobins, « Forever Sixties, nouvelle exposition estivale de la Collection Pinault, explore la révolution visuelle des années 1960. Une époque marquée par le Pop art, mais pas seulement, comme l’explique Emma Lavigne, commissaire de l’exposition et directrice générale de la Collection Pinault.
Pour cette 3ème exposition rennaise de la Collection Pinault, pourquoi avoir choisi ce thème de la révolution visuelle des années 1960 ?
L’exposition « Forever Sixties » a été pensée sur mesure pour Rennes. Les multiples facettes de Rennes nous ont inspiré, c’est une ville de musique et de militantisme. J’ai souhaité explorer la Collection de François Pinault sous l’angle des années 1960 pour montrer que ces années, souvent présentées comme les années de l’insouciance, les années pop, les années en Technicolor, ont aussi leur côté sombre. L’exposition raconte à la fois cette polychromie de l’art qui se réinvente et qui veut abandonner la modernité, l’abstraction, pour imaginer un nouvel art, un nouveau mode de vie, dans un contexte marqué par la Guerre Froide, les mouvements de décolonisation et la lutte pour les droits civiques. L’exposition est conçue en résonance avec la rétrospective Jeremy Deller, qui est lui aussi un enfant des années 60 et un héritier de la culture pop.
Les années 1960 ne se résument donc pas au Pop art ?
Non, au-delà de ce nouveau souffle de liberté, l’exposition souligne le fait que certains artistes comme Gilbert & George dénoncent des moments de répression à l’encontre des homosexuels. A travers leurs œuvres certains artistes présentés à Rennes illustrent ce contraste, comme Niki de Saint-Phalle qui manifeste de la joie, mais s’interroge aussi avec l’une de ses premières nanas noires, en référence à la célèbre Rosa Parks victime de la ségrégation. Où à travers son film Daddy où elle vient tirer à la carabine sur des œuvres, symbole de la mort du père, celui qui l’a violée lorsqu’elle était enfant. Il y a donc des zones d’ombres.
Dans l’œuvre hyper réaliste de Duane Hanson, représentant un peintre en bâtiment noir, il y a un parallèle très fort avec les artistes blanc établis. Autant de résonances très fortes avec les questions d’aujourd’hui. Comme chez Barbara Kruger, une très grande artiste américaine engagée, qui a détourné ses slogans pour dénoncer l’interdiction de l’avortement dans certains États américains.
Notre société est l’héritière de tous ces combats, de toutes ces utopies, notamment dans le mouvement de libération des femmes. Les années 1960 sont en quelque sorte un miroir en Technicolor de notre époque. Et à travers les œuvres exposées on se rend compte que les combats d’hier sont toujours d’actualité.
Le parcours dans le Couvent des Jacobins est aussi totalement nouveau par rapport aux expositions de 2021 et 2019 ?
Le Couvent est un lieu absolument sublime, c’était un pari fou de faire « swinger » son architecture avec des œuvres insolentes. Toutes les cimaises font donc des pas de côté, comme si elles dansaient. Nous avons essayé de faire twister la scénographie tout en magnifiant les espaces autour du cloître. Des vitrophanies permettent de rentrer un peu plus dans l’univers des artistes, quand d’autres ont des salles qui leur sont entièrement consacrées comme Martial Raysse. Dans le réfectoire, j’ai joué la carte d’une espèce de chapelle, car les artistes Gilbert & George travaillent leurs œuvres comme des vitraux. Dans la Halle 0, la partie contemporaine, on voit une autre facette du rêve américain : la surconsommation, l’aliénation de l’accès à la propriété et le mode de vie des « suburbs », ces banlieues alors présentées comme un modèle. L’exposition déconstruit les idéaux de la société américaine à travers l’œuvres d’artistes qui ont une force critique de la pop culture. Et beaucoup de ces œuvres n’ont encore jamais été montrées au public.
Pour compléter l’immersion dans cette époque, la bande-son est signée Etienne Daho…
Dans le jardin cloitre en effet, des chaises longues déjantées de Maurizio Cattelan invitent à profiter de la bande son sélectionnée par Etienne Daho, avec plus de deux heures de musique. Il a partagé sa perception des années 1960, et a conçu la musique par rapport à ce que l’exposition révélait en lui. Dans l’atrium, on retrouve les pochettes de vinyles qui ont marqué cette époque et Etienne Daho a sélectionné une autre playlist d’une heure avec les plus grands tubes des sixties.
A qui s’adresse cette exposition ?
Forever Sixties montre que l’esprit « pop » est toujours présent dans ce qu’il a de ludique et joyeux, mais aussi critique, et que tout cela peut cohabiter. C’est surtout exposition qui parle aux jeunes. Même s’ils n’ont pas connu cette époque, ils en ont les codes et les références. C’était important pour François Pinault de partager son souvenir des années 1960. A cette époque l’art contemporain a changé sa vie, il souhaite le partager avec de nouvelles générations, c’est très important pour lui. La Collection est une histoire d’amitié avec des artistes parfois méconnus mais incroyables. Dès les années 1960, il a d’ailleurs commencé à collectionner des oeuvres d’artistes afro-américains, alors que ce n’était pas du tout à la mode. C’est une exposition qui peut parler à tout le monde. On a tous en tête l’image de Marylin Monroe, d’Andy Warhol… on connait tous les chansons de cette époque, la culture pop est encore très présente aujourd’hui.
- « Forever Sixties, l’esprit des années 1960 dans la Collection Pinault », du 10 juin au 10 septembre 2023 au Couvent des Jacobins de Rennes. Billet couplé avec l’exposition “Art is Magic, une rétrospective par Jeremy Deller” au Musée des beaux-arts, Frac Bretagne et à la Criée centre d’art contemporain. Tarif : gratuit pour les moins de 26 ans, 12€ (plein tarif), 7€ (tarif réduit). Offre spéciale derniers jours : venez à deux voir l’expo et bénéficiez de deux billets d’entrée pour le prix d’un (offre réservée à la visite libre en plein tarif). Billetterie sur www.exposition-pinault-rennes.com